mercredi 28 octobre 2009

La descente du volcan

Après réflexion, j’ai décidé de redescendre aujourd’hui. J’ai renoncé à l’ascension de la muraille, qui suppose un bivouac dans une grotte à plus de deux mille mètres d’altitude. Je ne suis pas équipé, et les guides eux-mêmes présentent cette course comme bien plus difficile que celle d’hier.

Après les onze cent mètres de l’ascension du Pico, je décide de m’attaquer à la descente de plus de mille six cents mètres entre Bangaeira et Mosteiros, sur la côte nord. Zé m’a dit que cela prendrait trois à quatre heures, voire cinq. Cette fois je n’aurai pas de guide.
(...)

Je quitte l’auberge plus tard que prévu, et je m’arrête encore à la coopérative vinicole, dont le directeur me fait goûter un blanc et un rouge. Contrairement à mes goûts habituels, je préfère le blanc, léger et fruité. Je pose des questions sur la viticulture locale. Il y a vingt-huit coopérateurs sur cent trente hectares, me dit-il. Je me demande où se cache ce vignoble, car, en dehors de quelques pieds épars vus avant-hier, je n’ai pas remarqué grand chose. Il m’explique que la plupart des vignes sont plus à l’est, du côté ouvert de la caldeira. Ces vignes sont sans doute bien plus clairsemées que celles d’Europe.
( Les vignes de Châo das caldeiras )

Les vendanges ont lieu à la fin juin, la coopérative est moderne, reconstruite après la dernière éruption, équipée de matériel espagnol et italien, dans un petit bâtiment de moins de deux cents mètres carrés. Sous une paillote voisine, des enfants collent les étiquettes sur les bouteilles.

Je me dis déjà qu’il faudrait revenir aux vendanges, j’ai l’impression de partir trop vite, alors qu’il y a encore des choses à découvrir ici.

Je reprends mon chemin, je traverse le village entre les maisons basses, accompagné parfois d’enfants qui quémandent des bonbons. Je cherche un sentier qui doit me conduire au plus près de la muraille, pour la longer jusqu’à un petit col où je pourrai la franchir facilement et sortir de la caldeira.

Sorti du village grâce aux indications d’un enfant, je me trouve de plus en plus proche des énormes falaises qui sont sur ma gauche. A droite ce sont les extrémités des langues de lave qui forment des chaos de roches calcinées. Entre les deux, se faufile un sentier sablonneux et facile.

J’entre bientôt dans l’ombre de grands eucalyptus et mimosas qui embaument l’atmosphère. En cette fin de matinée, il fait une chaleur agréable, le chemin qui mène au bord du monde est paradisiaque.
Je croise des paysans avec leurs petits ânes chargés de fourrage, puis le couple de retraités français rencontrés hier, qui retournent vers l’auberge. Au sommet du petit col par lequel je sors du volcan, il y a une barrière en bois brut, et la maison d’un garde forestier. J’entre dans une forêt classée, il y a un péage de cent escudos, avec reçu. Le contraste est saisissant avec les paysages sahéliens du sud de l’île. C’est l’exposition aux vents de nord-est et l’altitude qui favorisent cette région.

A partir de là, le chemin est large et pavé. J’imagine naïvement qu’il en sera ainsi jusqu’en bas. La forêt est toujours superbe et parfumée, le soleil reste clément, et plus bas, la mer de nuages cache toujours l’océan.
( cette photo n'est pas de moi )

Evidemment, ce n’est pas une forêt primaire : eucalyptus, agaves et mimosas ont été introduits. La laurisilva macaronésienne, cette forêt préhistorique des îles de l’Atlantique nord, dont il reste, je crois, des reliques à Madère et aux Canaries, a-t-elle existé sur cette île ?

J’arrive à une bifurcation, annoncée par ma carte. A gauche, le sentier descend moins vite et part vers l’ouest. Il devrait conduire vers les versants les plus secs de l’île, contournant la caldeira par l’extérieur. Théoriquement, il serait possible de retourner à Sao Filipe par là, mais il paraît que le sentier est mal tracé, un guide serait nécessaire. Je suis parti tard, seul, et je n’ai pas envie de passer la nuit dans un ravin. Je m’en tiens donc à mon projet initial, je prends à droite. C’est la descente la plus courte vers la côte, à travers la forêt, jusqu’à Mosteiros, cette « petite ville assoupie » que j’ai envie de connaître.

A la sortie de la forêt classée de Fonte Velha : deux baraques et un gardien. Il contrôle mon ticket d’entrée. Le président de la république aurait une résidence secondaire ici. S’agit-il de ces modestes maisons ? La route pavée que je suivais depuis ma sortie du volcan s’arrête là. Je demande le chemin de Mosteiros. Le garde m’indique un passage qui se faufile derrière les baraques. Je crois à une plaisanterie, mais une pancarte en bois le confirme.

Je découvre un sentier où deux piétons ne pourraient se croiser, et qui doit se transformer en torrent à chaque averse. Il s’enfonce dans un sous-bois de plus en plus dense. Je dois me frayer un chemin dans les feuillages. Je suis arrivé dans la couche nuageuse qui s’accroche aux pentes et forme un brouillard assez épais entre les troncs. Je commence à m’interroger sur les éventuels serpents de Fogo, dont aucun de mes livres ne parlait. Outre la morsure d’un serpent, une simple entorse à la cheville me mettait dans une situation délicate, d’autant plus que l’après midi avance, et que je voudrais absolument être à Mosteiros avant la nuit.

Les pierres du sentier roulent sous mes pieds et je dois faire très attention. La pente est si raide qu’il me serait difficile de faire demi-tour. Je n’ai plus le choix, il faudra arriver en bas.

Peu à peu, les mimosas cèdent la place à des cyprès, mais les eucalyptus sont toujours là. Toujours dans la brume, je ne vois plus le haut, ni le bas. Je ne suis pas très fier de moi. Je passe des bifurcations sans aucune signalisation, rien qui ressemble au balisage des sentiers de randonnée en Europe. A chaque fois, je choisis la branche où le sentier me semble le plus large. J’ai peur de finir dans une impasse au sommet d’une falaise de plusieurs centaines de mètres au-dessus des vagues, et de devoir remonter. Un gros tuyau de plastique noir, sans doute une conduite d’eau, croise régulièrement mon chemin, ce qui me rassure.

Enfin, j’entends le ressac, mais je ne vois toujours pas la mer. Puis c’est un âne en train de braire, quelque part en contrebas, qui m’indique la proximité probable d’une habitation. La végétation a changé à mesure que je descendais, devenant de plus en plus tropicale. Je traverse des parcelles de caféiers, puis de citronniers, j’aperçois des cabanes cachées dans la végétation, puis des champs de bananiers, de papayers, et de petites maisons à flanc de ravin, inaccessibles d’où je suis…

Mosteiros apparaît à travers des lambeaux de nuages, bordée de barres rocheuses battues par la houle, je me crois presque arrivé, mais je déchanterai bientôt. Je croise enfin quelqu’un. De loin, je vois que c’est un randonneur, un européen, et qu’il monte ! Je m’apprête à le dissuader, convaincu qu’il n’arrivera pas au sommet avant la nuit.

Lorsque nous nous croisons, il se présente comme un américain, enseignant à Mosteiros. Il est jeune et sympathique. Je le soupçonne d’être un de ces missionnaires évangélistes ou baptistes, ou de je ne sais laquelle de ces églises qui font des ravages dans le tiers monde. Il m’explique qu’il monte par ce sentier chaque fin de semaine ! M’ayant demandé s’il pleuvait en haut, il m’annonce que je suis presque arrivé. Heureux de le croire, je continue…

Un paysan me rattrape, me salue, et me dépasse. Je ne le reverrai plus, tant il descend vite avec son fardeau. Puis c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui laisse une agréable odeur de savon dans son sillage. Grâce à sa chemise jaune vif, je le suis du regard. Il apparaît par moments, à plusieurs virages en contrebas. A-t-il rendez-vous avec une belle ?

La fatigue commence à me peser, et je suis de plus en plus prudent. J’ai encore trois bonnes semaines à passer au Cap Vert, et ce serait mieux sans plâtre.

J’arrive enfin aux premières maisons, mais je m’aperçois bientôt que ce n’est qu’un hameau au-dessus de Mosteiros. Il faut encore descendre. Cette descente m’a plus fatigué que l’ascension d’hier au Pico. Heureusement, je suis maintenant dans des ruelles. Les gens me saluent, des enfants m’escortent un moment, me demandent d’où je suis… Je leur réponds quelques mots de portugais basique. J’arrive à la route pavée. On me propose un taxi, mais je suis décidé à finir à pied.

Mosteiros m’apparaît comme un ensemble de hameaux et de villages étagés, et étirés le long de la côte. Le centre administratif et la pension « Cristina », indiquée par mon guide, sont à Igreja, au bord de la mer.

Deux gamins m’accompagnent un moment, jusqu’à être en vue de la pension, qu’ils me désignent, encore bien plus bas, reconnaissable à sa façade vert pistache. Ils veulent de l’argent. Comme ils m’ont réellement aidé, et qu’à présent, ils doivent remonter chez eux, je leur donne toutes les pièces que j’ai en poche.

Plus bas je croise quelques dizaines de collégiens et collégiennes en uniformes, à l’anglo-saxonne, avec des jupes écossaises, des pantalons foncés, des chemises blanches. Je suis exténué, ça doit se voir. J’essuie quelques lazzi, des filles me demandent en mariage, et sans répondre je me traîne sur le dernier kilomètre, du plat et pavé jusqu’au centre d’Igreja.

mardi 27 octobre 2009

L'ascension du Pico do Fogo, un vieux rêve réalisé !



Vénus est du matin, très belle, elle s’élève de l’autre côté du ciel, au-dessus du Pico, silhouette sombre derrière laquelle le soleil est encore caché. Le ciel est d’un bleu intense qui contraste avec le rose vif des nuages.

Zé arrive, et je n’ai pas déjeuné. En habitué de la maison, il me montre que tout est prêt pour moi, sous une nappe, dans un coin du restaurant. Je me dépêche.

Zé me conduit par un chemin très différent de mon parcours de la veille. Il faut traverser une partie du village, partir ensuite vers l’est, comme si on cherchait à rejoindre la partie de la caldeira qui est ouverte et dévale sur l’océan. J’irais bien y faire un tour, mais bientôt on tourne encore à droite pour aborder le Pico par sa face nord.

Je me sens en forme malgré la bronchite apportée de France, et le manque d’entraînement. Je sais que j’ai une vie trop sédentaire, mais j’espère arriver au sommet.

Bientôt, en se retournant, on découvre des vues splendides sur le nord de la caldeira, et son versant est, assailli par les nuages. On aperçoit à peine la mer par quelques trous dans les nuages. Coton à l’infini… Si la Terre était plate, ce serait là le bord du monde !



Le fond de cet immense cratère dévoile sa géographie quand on prend de la hauteur. De nombreux petits cônes secondaires, avec leurs coulées respectives, comme celles qui ont en partie envahi le village. Chacune a un âge et une couleur distincte, dans les nuances d’ocre, de noir qui dominent ici…
(cette photo n'est pas de moi)

Plus on monte, plus c’est raide. Nous faisons peu de pauses, je préfère avancer en gardant les yeux fixés sur les talons de Zé. Dans les passages difficiles, il prend mon petit sac et me tire par la main.

Il ne fait pas chaud, même quand le soleil nous éclaire enfin, car le fort vent de nord-est nous harcèle. Nous sommes bien en févier.
Un regard en arrière de temps en temps, pour le paysage, c’est vertigineux… Puis je reprends, un pas après l’autre, sans penser à rien, en tournant et retournant dans ma tête de petites phrases absurdes en occitan, en espagnol, en portugais…

La pente est si raide que je touche le sol en tendant un peu les bras devant moi. Heureusement, il y a de gros blocs aux quels s’accrocher. Par instants, au soleil et à l’abri du vent, il fait bon…

Je passe par des moments de doute, mais, à part les yeux fouettés par le vent, je n’ai mal nulle part, et un regard vers le haut m’incite à continuer. Zé s’arrête, et me dit qu’il y est. Quelques pas plus tard, je le rejoins sur le bord du cratère.



D’en bas, je n’imaginais pas que le sommet du Pico soit de taille à contenir ce gouffre d’environ cinq cents mètres de diamètre et cent cinquante de profondeur. Quelques grosses fumerolles crachent le long des parois marquées de dépôts de souffre. Dans le fond, de nombreuses personnes ont écrit leurs noms en alignant des pierres de couleur claire. Je n’y irai pas, car après, il faudrait remonter…

Zé a trouvé un coin pour faire la sieste. Je reste assis à me remplir les yeux de ces paysages. C’est un moment dont je rêvais depuis un quart de siècle.

Zé me raconte qu’à sa première ascension, il avait 9 ans. Les guides montent ici en une heure quand ils sont seuls, en trois à quatre heures avec les groupes de touristes. Il me dit que nous avons mis un peu moins de trois heures, ce qui réjouit mon ego.

Après cette pause et quelques photos, il me conduit vers le début de l’itinéraire de descente. Il faut couper par le haut du cratère, par des chemins de chèvres où un faux-pas m’enverrait bien bas… Enfin, on remonte sur la lèvre du côté ouest, au-dessus du « Pico pequenho », celui qui est né lors de la dernière éruption en 95. D’ici, on ne voit plus le côté ouvert de la caldeira. La muraille, à peine moins haute que nous, barre tout le champ de vision. J’ai rarement vu un panorama aussi saisissant. Par une échancrure de la crête, on aperçoit l’océan et l’île de Brava ! A nos pieds, toujours les champs de lave et de souffre, vers lesquels il faut descendre.

Le début est assez difficile, dans un mélange de pouzzolane et de blocs qui ont tendance à glisser, rouler, dévaler… Tant bien que mal, j’arrive à la pouzzolane pure, et je rejoins Zé, qui me laisse prendre de l’avance.

J’hésite d’abord à descendre droit dans la pente, puis je me laisse tenter. Les sensations sont celles du ski ! Je n’ai jamais été un bon skieur, mais quelques réflexes reviennent. Nous skions en chaussures, dans une roche noire pulvérulente. Par endroits elle est fine et tassée, ce qui vaut bien une plaque de verglas. Il faut donc déclencher son virage à temps pour rester dans la poudreuse et éviter la chute. J’entraîne dans ma glissade une masse importante de cette roche, et je me dis que si le nombre de touristes augmente au Pico, chacun faisant comme moi, l’érosion du sommet sera terrible !
(cette photo n'est pas de moi)


Je ne veux pas descendre trop vite, pour éviter un accident, et surtout pour profiter de ce paysage sublime et de la vue sur Brava. A mi-pente, Zé me rattrape, me dépasse et me met au moins cinq cents mètres dans la vue. Il faut bien le rejoindre, à regret, car Brava disparaît inexorablement derrière les crêtes de la muraille.

A l’arrivée en bas, les odeurs de souffre sont fortes. Zé me conduit près des fumerolles. On récolte de la fleur de souffre sur la face inférieure des cailloux qu’on retourne. Je fais aussi l’expérience de mettre le feu à un mouchoir en papier, alors qu’aucune flamme n’est visible, simplement par la température du gaz qui sort d’un trou… Au moins 451 Fahrenheit, me rappelle Ray Bradbury. C’est l’occasion de rencontrer un couple de retraités français et leur guide. Ils viennent juste d’arriver, il travaillait au service communication du BRGM. Ils n’ont pas l’intention d’aller au sommet. Le soleil est presque au zénith, il commence à faire vraiment chaud.

Nous quittons les cratères de 95 et nous dirigeons vers l’auberge en passant par les endroits où je m’étais promené hier. Zé n’est pas très bavard, mais il me raconte que lors de la dernière éruption, il avait 12 ans. Le village a été brièvement évacué, puis les gens sont revenus. Au passage, il me montre des pieds de manioc, récemment morts de froid !

lundi 26 octobre 2009

Au dessus du volcan



À trop croire les guides touristiques qui disent que les avions décollent parfois en avance, on doit supporter une longue, très longue attente, car il partira en retard. La salle d’embarquement est très belle et propre. Toujours de la salsa en fond sonore. Par les baies vitrées, nous voyons notre avion, un ATR 42 stationné juste devant nous. Ses hélices sont amarrées au sol, à cause du vent qui balaye la piste en puissantes rafales.

A l’embarquement, bien plus de capverdiens que de touristes dans l’avion. Le décollage est très court. Les vues sur Santiago, que nous quittons, sont belles à travers les nuages. Plateaux rouges et secs, coupés de ravins où se cache la végétation. Mais les villages sont sur les plateaux.



Le vent nous pousse, et après un court moment sur la mer, on voit se dessiner le volcan de Fogo au-dessus des nuages : un cône d’une trentaine de kilomètres de diamètre et deux mille huit cents mètres de haut. Je suis très bien placé, à un hublot de droite. Les murailles de la caldeira sont impressionnantes, comme le nouveau cône qui s’est formé du côté est, où le gigantesque cratère est égueulé, ouvert sur un océan de nuages.




On distingue nettement les nombreuses coulées de lave qui ont dévalé ces pentes jusqu’à la mer, coupant des paysages arides. Vers le bas, ce sont des falaises qui plongent dans l’eau. Il n’y a pas de plages. Les ravins creusés par des ruisseaux temporaires débouchent dans le vide. Cela doit donner de fines cascades tombant dans l’océan, quand il pleut.



Tout est si sec et écrasé de soleil que mon ambition de monter à pied jusqu’à la caldeira se fissure déjà. En descendre, peut-être…

( photo Attila Bertalan, 2006 )
Je vois enfin l’aspect véritable de ce qui m’a tant fait rêver sur les cartes. Nous survolons Sao Filipe, la capitale de Fogo. La petite ville est installée sur les falaises, de part et d’autre d’un ravin, mais de ce côté de l’île, moins exposé à la houle, il y a des plages noires au pied des falaises. On passe très bas au-dessus des maisons avant un atterrissage en douceur. L’aérogare est minuscule.



Je partage un taxi avec l’anglais, car nos guides respectifs conseillent la même pension de famille, chez Fatima. Nous sommes reçus par des gamines d’une quinzaine d’années. Je prends à peine le temps de poser les bagages, j’ai hâte de faire un tour en ville. Le soleil tape, mais la température est agréable. C’est sans doute l’heure de la sieste. Calme absolu.

J’avais une idée de la ville à travers le film « Ilheu de contenda » de Leao Lopes , basé sur le roman de Henrique Teixeira de Sousa, qui raconte la décadence d’une famille de colons portugais dans les années soixante. Je pense à Thierry, l’ami qui m’avait prêté la cassette du film, aussi passionné de culture capverdienne que moi.

Le film était tourné à Sao Filipe, et je retrouve dans la vieille ville des images de ces « sobrados », les belles maisons de maîtres de l’époque coloniale, et les rues pavées de petits morceaux de basalte qui descendent vers la mer, ou plus exactement, vers le bord de la falaise qui domine la plage de cinq à dix mètres. De l’autre côté du bras de mer, on distingue Brava, toute proche, et si difficile à atteindre. Le bas de la ville forme une corniche, et de là, elle s’étend à l’assaut des pentes arides du volcan qui la domine de sa masse énorme.

Je ne croise pas grand monde. Quelques collégiens en uniforme… Des maisons tombent en ruine à côté d’autres, joliment restaurées. Certaines sont à vendre. Il y a un joli kiosque à musique sur une place en pleine rénovation.

De retour à la pension, je fais une petite lessive. Il faudra en faire souvent. C’est le prix à payer pour la légèreté de mon sac. Ensuite, c’est la douche à l’économie, car le pays manque d’eau. Il faut être un touriste citoyen du monde, éthique et écologiquement responsable… J’ai lu ça quelque part.

Je m’offre un grand luxe : une sieste à Sâo Filipe. Je suis venu jusqu’ici, rien que pour ça !

En fin d’après-midi, je sors, car j’ai entendu des échos de musique, comme si une fête se préparait. Je ne me lasse pas de contempler Brava à l’horizon. L’atteindrai-je ?

En ville, une vielle affiche au format A4, simple photocopie, qui date de début février : le consulat américain à Sâo Filipe invitait ses ressortissants à une réunion. Il y aurait donc un consulat des USA dans cette petite ville perdue ? Signe de l’importance de la diaspora ! Depuis l’époque de la chasse à la baleine, les navires américains de Nantucket et de New Bedford embarquaient des jeunes gens de Brava et Fogo. Dans son roman, Teixeira de Sousa évoque une vieille chilienne qui, ayant dans sa jeunesse épousé un de ces marins de Fogo, finit ses jours dans cette île. Mais le résultat de ces migrations, c’est surtout l’importante colonie capverdienne en Nouvelle Angleterre. Certains de ces émigrés, relativement enrichis aux Etats-Unis ont pesé, et pèsent encore lourd sur le destin de l’île.



Dans un joli square du bas de la ville, des jeunes ont installé une sono et une petite estrade. C’est pour la fête de Saint Valentin. Je reviens à la nuit tombée pour y assister.

C’est bien leur fête, celle des 10 à 16 ans. Les rares adultes sont là en spectateurs, dans un large escalier qui conduit à la partie haute du square, et dont les marches servent de gradins. Les enfants chantent, récitent des poèmes et des déclarations d’amour en portugais, et les coupures musicales sont très américaines. La fameuse musique capverdienne n’est pas à l’honneur ici. Pourtant cette petite fête à un charme extraordinaire, par sa spontanéité et sa naïveté !

dimanche 25 octobre 2009

Nuit de vent à Praia



Depuis le décollage de Lisbonne, je guette Madère, ou Ténériffe, mais je ne vois que de l’eau par les trous de la couche nuageuse. Les ombres des nuages sur l’océan dessinent des archipels imaginaires.

Je ne m’étais pas trompé. Le Teide apparaît enfin sur notre droite, magnifique, couronné de neige. En janvier 1999, quand j’ai dû abandonner mon bateau dans la tempête, celle-ci avait provoqué d’abondantes chutes de neige sur Ténériffe, et sur Madère, ce qui est exceptionnel. Cette année, l’enneigement du Teide est bien plus normal.

Je le signale à mes deux voisins espagnols, dont j’épie les conversations depuis un moment. C’est un bon prétexte pour faire connaissance. Gran Canaria doit être sous nos pieds. Plus loin, à l’ouest, au delà de Ténériffe, on aperçoit les trois îles plus petites, La Palma, Hierro, et La Gomera, aux sommets des quelles s’accrochent les nuages.

Mes voisins sont deux professeurs de l’Université de Compostelle. Le plus proche, avec qui je parle le plus, se déclare disciple de Bourdieu. Ils vont régulièrement donner des cours dans une université privée de Praia. Il s’agirait plutôt d’un centre de formation post baccalauréat, car il n’y a pas vraiment d’université au Cap Vert, ce qui provoque un exode des cerveaux.

Pour y remédier, on a jugé plus économique de déplacer les enseignants que les étudiants, solution qui me semble très intelligente. L’accord a été passé avec l’université galicienne car le galicien est très proche du portugais, ce qui facilite l’enseignement. Ayant fait escale en Galice en 1989 lors d’un périple sur un grand trimaran, j’ai adoré cette région et sa langue. Je rêve d’y retourner. Le professeur me donne sa carte et m’invite à lui rendre visite un jour.

Il me propose aussi de profiter du minibus qui viendra les chercher à l’aéroport. Comme je n’ai pas d’escudos pour le taxi, j’accepte. Je ne sais pas non plus où je vais dormir, il me propose donc de voir si leur hôtel me conviendra, ce dont je doute. Il me met aussi en garde contre l’insécurité galopante de Praia.

Quand l’avion commence à descendre, j’espère voir des îles où je n’aurai pas le temps d’aller. Ayant passé de longues heures le nez dans les cartes de l’archipel, et sur des photos aériennes trouvées sur internet, je m’attends à reconnaître assez facilement Sao Vicente et Santo Antao, mais nous passons beaucoup plus à l’est que je le pensais. Soudain je comprends que nous sommes au-dessus de Boavista, dont je reconnais les célèbres champs de dunes, puis le port de Sal Rei, sa baie, son îlot.

Parti de France avec rhume et bronchite, j’ai très mal aux oreilles à chaque atterrissage…

Au loin, dépassant des nuages, je reconnais, comme si je l’avais déjà vu, la silhouette du grand volcan de Fogo à contrejour, la muraille de la caldeira et le cône central. Nous plongeons dans la couche nuageuse. J’espérais apercevoir Maio, mais c’est déjà Santiago, que nous contournons par le sud. Enfin nous virons pour revenir sur Praia, face à l’alizé qui maintenant nous secoue. Volets, trains d’atterrissage, vision fugitive de la baie et du port de Praia, nous touchons terre, nous roulons, et sur la droite de l’avion le paysage est presque martien. Rouge, caillouteux, désertique, battu par le vent…
L’aérogare est petite, mais d’aspect très moderne, sous ses toitures coniques en toile blanche, tenues par des mâts centraux et des haubans. Mais l’atmosphère africaine est bien là. Pas de passerelles fermées. Il faut descendre et marcher sur le tarmac : vent chaud et petite odeur de kérozène dans la fin d’après-midi. Le souvenir me revient de la petite aérogare de Niamey et ses bougainvillées dans les années 60.

Formalités d’entrée, récupération des bagages… C’est un peu long pour les professeurs qui n’avaient pas de visa. Le chauffeur les attendait. Grandes embrassades, il s’empare de leurs bagages et les met sur un chariot. Des porteurs tentent quand même leur chance. L’Afrique d’en bas survit comme elle peut.

La large avenue qui dessert l’aérogare est une ancienne piste pour avions ! Belle sobriété capverdienne ! C’est autant d’asphalte à importer en moins ! Mais on a du y aménager des chicanes, certains conducteurs pouvant être tentés d’essayer le décollage !

L’aéroport de Praia est installé sur un plateau à l’extrémité sud de l’île de Santiago. On aperçoit la ville, toute proche. Sur une crête voisine, je remarque trois grandes éoliennes modernes à trois pales qui tournent dans l’alizé. Est-ce suffisant pour alimenter une ville de cent mille habitants ?

Le chauffeur semble déçu de la reconduction du président Pedro Pires et de son parti le PAICV, héritier du PAIGC d’Amilcar Cabral. J’en profite pour lui demander s’il existe un mouvement ou un parti écologiste. Il semble que non.

Nous traversons des quartiers peu reluisants, maisons grises en parpaings, parfois peintes mais couvertes de poussière rouge, fers à bétons dépassant des toits plats, spectacle de la périphérie de toutes les grandes villes des pays du sud. Les premiers de la classe ne logent pas ici.
Nous arrivons au bord de la mer à Prainha, un nouveau quartier de l’autre côté de la baie, devant l’hôtel Tropico. Un coup d’œil sur les tarifs, et je fuis. À près de cent euro la nuit, ce n’est pas pour moi, je le laisse aux disciples de Bourdieu !

Abusant un peu de la gentillesse du chauffeur, je lui demande de me déposer au centre ville, sur la fameuse place Albuquerque, cœur historique de Praia.

Sac au dos et mon guide à la main, je me dirige vers un premier hôtel. Il n’existe plus. La nuit va tomber, le ciel est très gris pour un mois de février, cœur de la saison sèche. Le vent souffle, je suis fatigué, j’ai hâte de me coucher. Personne ne me connaît, je ne connais personne.

D’hôtel fermé en hôtel complet, je erre dans le très petit centre de cette petite capitale. Au centre culturel français, une dame très aimable m’oriente vers un hôtel introuvable dans la rue voisine.

Il se met à pleuvioter, ce qui est parfaitement anormal en cette saison. Toutes mes lectures capverdiennes sont convoquées ! Je pense à ce petit roman capverdien, « Le testament de Monsieur Napomuceno da Silva Araùjo », de Germano Almeida, qui raconte l’histoire d’un homme qui fit fortune en vendant une cargaison de parapluies la seule année où les îles subirent un déluge. Je pense aussi au titre de cet autre livre capverdien d’Antonio Aurelio Gonçalves, que je lisais à la naissance de mon fils aîné : « Nuit de vent ». C’est exactement ce dans quoi je suis plongé. Vais-je dormir dehors ?
Rues pavées désertes, mal éclairées, trottoirs défoncés, immeubles lépreux, c’est l’Afrique déglinguée, sale, triste… Praia, au premier abord, me fait peur. Tout ce que j’ai lu et entendu sur l’insécurité dans la ville commence à me rendre paranoïaque. J’en regrette presque la chambre à cent euro du Tropico.

Revenu sur la place, je trouve enfin la pension Sol Atlantico, la moins chère de la ville. Je suis passé plusieurs fois devant, mais rien ne l’annonce. Il faut monter un escalier gris, sonner, franchir une grille qu’un préposé morose vient ouvrir… Il n’y a plus de fiches en bristol pour enregistrer les clients. Il passe les anciennes au liquide effaceur pour les réutiliser. Il me propose une chambre minimaliste, mais propre, avec un balcon donnant sur la place. J’accepterais n’importe quoi, je suis épuisé, j’ai très peu dormi ces derniers temps… J’ai faim, et soif, mais aucune envie de ressortir.

Je pense à ce que je ferai demain. Je n’avais pas de projet précis, sauf l’envie de me rendre à Brava. L’île n’étant pas desservie par avion, il faudrait attendre un éventuel bateau à Praia. Mais je n’ai aucune envie de rester ici. Je veux partir au plus vite, ce qui implique de prendre le premier avion pour Fogo, et d’aviser là bas. Fogo étant l’île la plus proche de Brava, j’espère y trouver un bateau…

samedi 24 octobre 2009

Pourquoi ce blog ?



Ce blog vous présente quelques extraits du texte et des illustrations d'un récit de voyage.

En 2006, je suis parti pour un mois aux îles du Cap Vert en solitaire avec mon sac à dos, après avoir fini d'écrire le premier tome de mon premier roman, à paraître en 2010.
( Et présenté ici : http://leblogdemonpremierroman.blogspot.com/2009/10/la-couverture.html )

C'est le récit de ce voyage que je vous propose, en attendant de trouver un éditeur.

Le texte intégral fait une centaine de pages et peut vous être adressé sous la forme d'un fichier PDF, avec les illustrations.

J'y accorde une grande importance aux questions, très liées entre elles, de la dépendance au pétrole et au tourisme de masse, de l'eau, de l'énergie, et du changement climatique, ainsi qu'au poids de la Chine dans un petit pays attachant qui devient un "tigre" de l'Afrique en jouant la carte de la mondialisation libérale.

Si vous êtes intéressé/e, laissez moi un message: voir dans mon profil.

Prologue



Prologue.

Lycéen à Dakar en 1981, je dévorais le gros livre du géographe Pierre Gourou sur l’Afrique. Au chapitre consacré aux îles du Cap Vert, une photo en noir et blanc montrait l’éruption du Pico do Fogo en 1951. Je me suis promis alors, de monter un jour au sommet de ce volcan.

Dakar est bâtie sur la presqu’île du Cap Vert. Les îles, quand vous êtes sur une plage du Sénégal, sont juste en face, à l’ouest, derrière l’horizon, à six cents kilomètres. Dix îles qui, ensemble, représentent à peine la moitié de la Corse.

Pourtant, en 1981, on ne s’y rendait pas très facilement. C’était encore le temps de la révolution et de la légende d’Amilcar Cabral, le fondateur du PAIGC, Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, le héros national assassiné en 1973 à Conakry. Le Cap-Vert, qui venait d’être séparé de la Guinée-Bissau, était une république socialiste, très peu ouverte au tourisme. Il fallait avoir un hôte sur place pour obtenir un visa. Et moi, je devais d’abord passer mon bac.

Malgré cela, la culture capverdienne était accessible aux gens de Dakar. La pauvreté des îles a toujours poussé les capverdiens à émigrer dans le monde entier. Ils étaient nombreux à Dakar, où leur musique était appréciée. Dix ans avant le grand succès de Cesaria Evora, j’avais acheté mes premiers disques et cassettes de Bulimundo, de Cabral & Cabo Verde Show, ou Boy Gé Mendes, dans des boutiques dakaroises.

C’est Bulimundo qui m’a le plus profondément marqué ; les chansons de ce groupe, comme Djâm Brancu Dja, Partida, Bragêru, Hora di Bem, Febri di Funanà, Sofà, Pé di Pedra, Tarrafal, ou Bem di Fora, me donnent encore des frissons dans le dos avec leur basse, et leurs envolées de saxophone, ou de synthétiseur. C’est le son de mes années 79-81, les souvenirs de la mort de Bob Marley, du bac, du permis de conduire, et de l’élection de Mitterrand…

Vingt-cinq ans et quelques péripéties plus tard, je vais faire ce voyage au Cap- Vert. Ma connaissance livresque des îles va enfin être confrontée à la réalité. Depuis des années j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver sur le sujet, et presque tout ce qui existe de littérature capverdienne traduite en français. Et j’ai continué à écouter cette musique devenue plus accessible dans le commerce depuis les années 90 et l’ascension de Cesaria Evora.

Je ne vis plus à Dakar, mais à Montpellier. Il y a quelques jours, j’ai envoyé vingt exemplaires du manuscrit de mon premier roman à vingt éditeurs de Paris et d’ailleurs. Pour éviter de passer les prochaines semaines pendu à ma boîte à lettres, je prends l’avion.