lundi 30 novembre 2009

Où je perds le nord.


En pantalon et longues manches pour éviter de recuire les brûlures reçues, malgré la crème solaire, lors de ma longue marche sur les plages du sud, et portant mes bonnes chaussures de randonnée, je reprends la route de Morro, avec l’intention d’atteindre cette fois l’extrémité nord de l’île.

L’auto-stop est plus efficace qu’hier. La première voiture qui s’arrête va loin. Je m’installe à l’arrière, sur la plate-forme, et je me cramponne. Le chauffeur va vite, nous traversons bientôt Morro sans nous arrêter, pour continuer à travers ce qui est marqué sur certaines cartes comme une zone de reboisement. En fait de reboisement, je ne remarque qu’une plus haute densité d’acacias…

La route longe la côte ouest à un kilomètre de distance en moyenne, et à main droite on aperçoit quelques collines rouges et pelées, dont la plus haute ferait presque trois cents mètres de haut, et s’appelle Monte Batalha. Je me demande à quel épisode historique se rapporte ce nom. Qui est allé se battre là-bas, et pourquoi ? Encore une histoire de corsaires ?

Nous traversons Calheta, qui est un village de pêcheurs où je reviendrais bien faire un tour. Moins de cinq kilomètres plus loin, c’est Morrinho, à quinze petits kilomètres au nord de Vila do Maio. Ici, la route principale, la seule qui soit pavée, tourne à droite pour desservir les villages de l’intérieur, dont le principal est Cascabulho. Je me fais déposer au centre de Morrinho, car je voudrais voir les grandes salines qui, selon ma carte, se trouvent à proximité.

Le village et légèrement plus haut que les environs, et en scrutant les alentours, je ne distingue aucune saline. Elles devraient être au nord. Je tourne donc le dos à la route par laquelle je suis arrivé, et je me lance.

A proximité du village, dont je sors, le sol, dénué de végétation, est jonché de détritus de toutes sortes, principalement de sachets, de petits objets et de débris de plastique et de métal. Les industries de Chine et des pays du nord déversent par cargos entiers leurs pacotilles sur des territoires où les services de collecte et de recyclage des ordures sont défaillants ou inexistants, et les pays du sud deviennent des dépotoirs… Quand ce n’est pas le vent qui pousse vers les îles toutes les saletés dérivant sur l’océan.

Autour du tronc des acacias, il y a souvent un muret de pierres sèches qui forme un enclos circulaire de quelques mètres de diamètre, où sont enfermées des chèvres, ou des gorets. La brousse où je m’avance est aménagée par l’homme. Il y a partout de ces murets, ou des clôtures de branches épineuses, qui délimitent des champs, parfois simplement des filets tendus entre les arbustes. Partout, des traces de passage dans la poussière, qui font une multitude de sentiers.

Je trouve un long passage ombragé par des arbres un peu plus hauts que la moyenne, le long d’une clôture. J’y croise un jeune garçon sur son âne, et j’aperçois une femme avec un fagot sur la tête. Encore une fois je me sens replongé dans le sahel de mon enfance, à la différence qu’ici les quelques bovins qui errent ne sont pas les zébus à bosse que j’ai connus.

J’erre moi aussi dans ce paysage où rien n’indique la proximité de salines, alors que le soleil montant commence à taper. Où est la mer ? Je devine de hautes dunes au-delà d’une forêt d’épineux, mais elles me semblent bien plus éloignées que celles que je voyais du village. Village que j’ai perdu de vue, d’ailleurs…

J’ai pris soin de repérer quelques détails, et quelques tournants du sentier pour faciliter mon retour. J’en ai assez de chercher. Quelque chose ne colle pas entre ma carte, le paysage, et mon orientation. C’est vexant, mais je rebrousse chemin, je retourne à Morrinho.

Il est supposé y avoir un village de pêcheurs nommé Porto Cais à trois kilomètres à l’ouest de Morrinho. Lorsque, enfin je croise quelqu’un, on m’indique la direction d’où je viens. Je suppose que, croyant marcher vers le nord, j’ai peu à peu dévié vers l’ouest, je fuyais peut-être le soleil sans en avoir conscience… Et j’ai dû prendre une direction qui me conduisait quelque part dans la brousse, entre Porto Cais et les salines…

Etant revenu tout près de Morrinho, je décide de me diriger vers les dunes les plus proches. Je travers d’abord des terres salées, en évitant les quelques bovins qui y cherchent pitance. Le vent lève des tourbillons de poussière rouge sur les champs de salicornes.

J’arrive enfin au sable. C’est un grand massif de dunes, j’entends bien la mer, mais il y a plusieurs lignes de crêtes à franchir avant de l’apercevoir. Je prends pour repère le seul groupe de palmiers des environs. Il pousse aussi des tamaris, les troupeaux de chèvres et de vaches trouvent peut-être plus de verdure ici que dans l’intérieur. Lorsque je découvre la plage, je m’aperçois qu’elle est très étroite. La marée doit être au plus haut, car les rouleaux brisent presque au pied des dunes.

De retour à Morrinho, je m’en remets au hasard de l’auto-stop pour décider si je retourne à Vila, ou si je continue vers Cascabulho. Le soleil est au plus haut, le village est assoupi, et aucun véhicule ne se présente.

Le centre du village s’organise autour d’un petit rond-point, à l’endroit où la route tourne vers l’est. Tout est là, dans un rayon de cinquante mètres : école, église, coopérative, épicerie-bar… Je m’achète une bouteille de soda à l’orange, et je cherche un peu d’ombre pour la boire.

J’ai de la chance. A midi et demie, les enfants sortent de classe, et un aluguer arrive. C’est lui qui fait le transport scolaire. Il doit aller à Cascabulho, puis rentrer à Vila. C’est parfait pour moi. Le chauffeur me fait monter à l’avant, et les enfants sur la plate-forme arrière. A la radio, j’entends encore Lura, la jeune chanteuse capverdienne du Portugal qui connaît la gloire depuis qu’elle est revenue au répertoire de son pays d’origine. Elle avait commencé dans un registre plus commercial comme choriste d’un chanteur de zouk-love de Sâo Tomé, nommé Juka, dont la chanson « Amiga » est aussi un tube omniprésent en ce moment au Cap Vert. Bénie par Cesaria Evora, avec qui elle s’est produite en tournée, Lura devient la nouvelle icône du Cap-Vert. Son succès du moment, aux accents nostalgiques, prend toute sa saveur dans ce petit village perdu de Maio : « Ô Na ri na, ôô na ri na … »

Cascabulho est un village rue, avec une quinzaine de maisons basses de chaque côté. C’est aussi le bout de la route pavée. Au-delà, une piste poussiéreuse conduit vers les hameaux de la côte est. De là, le Monte Penoso semble assez proche, mais pas très engageant. Nous sommes encore à plus de cinq kilomètres de l’extrémité nord de l’île, je n’ai toujours rien vu qui ressemble à des salines, et j’ai encore un peu de mal à m’orienter. Il est temps de rentrer.

J’ai fait un rapide tour du village avant de revenir à la camionnette, et j’attends. Je ne sais pas exactement quoi. Les enfants sont allés chercher des chèvres que le chauffeur doit livrer quelque part. Pattes ligotées, on les balance à l’arrière…

Le retour à Vila est rapide. En traversant la « forêt » près de Calheta, j’aperçois les foyers fumants des charbonniers qui produisent du charbon de bois pour les fourneaux et braseros de l’île.