mercredi 9 décembre 2009

Le bagne de Tarrafal.



Avant de partir pour Tarrafal, j’ai quelques formalités et démarches à faire de bon matin. Pour confirmer mon vol de retour pour la France, on me balade des guichets de la TACV à ceux de la TAP qui se trouvent hors du Plateau, au sud, dans un quartier moderne. Je change l’argent qu’il me reste, je cours à la poste, et au CCF, pour voir si le programme de mars est enfin affiché : rien.

A dix heures je quitte l’hôtel et je trouve un taxi pour le marché de Sucupira, qui s’avère être bien plus proche que je ne l’avais cru. J’aurais pu y descendre à pied. Juste en contrebas du plateau, du côté nord, le marché de Sucupira et un des lieux les plus africains de la ville. Sous de grands arbres, qui me semblent être des caïlcédrats, sont installées des échoppes, ou de simples étals, quand la marchandise n’est pas à même le sol.

Pas encore descendu du taxi, je suis préempté par un chauffeur d’aluguer qui cherche à remplir son véhicule à destination de Tarrafal, via Assomada, la principale ville de l’intérieur de l’île. Etant le premier installé au fond d’un minibus de onze places, je crois que l’attente va encore être longue. J’ai tout le loisir d’observer l’animation du marché : femmes en pagnes portant sur la tête des bassines de tôle émaillée, ou de plastique coloré, pleines de fruits, hommes bardés de Rolex au kilo ou de fausses Ray-Ban, tous les personnages typiques du marché africain sont là. Sur une caisse en bois, un homme démonte un téléphone portable avec un tournevis : la haute technologie résistera-t-elle à sa débrouillardise ?

Des marchandes me proposent de petites bouteilles d’eau, ou des sachets d’arachides, à travers la fenêtre. Des chauffeurs se disputent des places de stationnement, mouvements de foule, cris, bagarre ? Un voleur s’est-il fait prendre ?

L’attente dure plus d’une heure, mais nous sommes garés à l’ombre. Petit à petit, des voyageurs s’installent, seuls ou en famille. Je suis le seul étranger à bord. Lorsque nous démarrons enfin, nous sommes quinze : douze adultes et trois enfants, plus les bagages.

Il faut un certain temps pour sortir de Praia. Comme toutes les capitales du tiers-monde, la ville n’en finit pas de s’étendre. On traverse d’abord les quartiers modernes : de longues avenues saturées, des nuées de deux-roues, des camions qui crachent une épaisse fumée noire… Les immeubles modernes déjà décrépis, les vitres poussiéreuses, les caniveaux encombrés de détritus, où stagnent des flaques d’eau noirâtre, les entrelacs de câbles électriques ou téléphoniques, les paraboles de télévision… C’est impressionnant de voir comment la « modernité » et le « développement » ont uniformisé et enlaidi les villes, partout dans le monde.

Le pire est à suivre. Nous traversons des quartiers de plus en plus pauvres, des bidonvilles, jonchés de vieux conteneurs de transport maritime, d’épaves de véhicules, de décharges sauvages, de monceaux de gravats…

La route est en réfection, on roule souvent à côté, soit sur des tronçons d’ancienne route, soit hors piste, à vitesse réduite. La radio déverse du funanà et du zouk.

Peu à peu, nous prenons de l’altitude, et je découvre les paysages des montagnes de l’intérieur de Sâotiago : aiguilles volcaniques, sommets escarpés, ravins vertigineux… C’est le pays des badius, comme on appelle les gens de l’intérieur de Sâotiago qui accrochent leurs petites maisons aux flancs de ces montagnes. Nous sommes au cœur de la saison sèche, et je ne trouve pas ici de végétation comparable au nord de Fogo. Les acacias de diverses variétés dominent, avec quelques agaves et eucalyptus, aux feuillages gris de poussière.

Nous traversons des villages en gagnant de l’altitude, les chantiers routiers sont dépassés, nous roulons vite sur les pavés, en frôlant des groupes d’écoliers en uniforme. L’un d’eux, un petit de moins de dix ans, traîne une patte folle… Je pense à mes enfants, qui ont eu la chance de naître dans le bon pays, au bon moment, tandis que lui, va peut-être traîner sa jambe toute sa vie dans ce coin perdu… A moins qu’il émigre et devienne un peintre en vogue à New York !

Assomada, à cinq cents mètres d’altitude, est loin d’être le village suisse que j’imaginais d’après sa réputation. Pourtant cette ville a inspiré des poètes et des chanteurs. Toujours des avenues en réfection, des chantiers, rien qui donne envie d’y séjourner, à moins que notre chauffeur soit délibérément passé par les quartiers les plus laids. Je crains de rater quelque chose. Il faudrait s’arrêter et faire une visite plus approfondie, pour en avoir le cœur net. Ce sera pour une autre fois, j’ai rendez-vous à Tarrafal, avec des fantômes.

La descente commence, avec quelques belles vues, sur fond d’horizon marin, qui rompent la monotonie du voyage. Nous arrivons à Châo Bom, dont j’avais entendu parler à la télévision, un soir à Mosteiros. C’est une bourgade très proche de Tarrafal, pas très belle. Les autres passagers se font déposer peu à peu, si bien qu’il n’y a presque plus personne à bord à l’arrivée à Tarrafal. Pour traverser l’île dans sa longueur, nous avons fait soixante-quinze kilomètres en deux heures.

Il y a trois villages du nom de Tarrafal au Cap-Vert. Le deuxième est sur la côte ouest de l’île de Sâo Nicolâo, le troisième, sur la côte ouest de Santo Antâo s’appelle exactement Tarrafal do Monte Trigo. Il y a deux ou trois ans, mon plus jeune frère, de passage à cet endroit sur un voilier, a failli s’y noyer.

Le bus me dépose devant un des meilleurs hôtels de la ville, et je continue à pied jusqu’à une pension plus modeste, à côté d’un club de plongée. Ici, il y a quelques touristes européens. Le temps de prendre une chambre, je descends au restaurant, l’endroit est agréable et sans prétention. Poisson, riz, patates, et légumes, c’est mon régime depuis trois semaines et j’aime ça !

Dans la grande salle à manger, nous sommes trois solitaires, chacun à sa table. Un de mes voisins, capverdien de vingt-cinq ou trente ans, s’adresse à moi en français. Il s’appelle Marc, il a grandi à Dakar, puis Abidjan. En Côte d’Ivoire, il gérait, ou travaillait dans, une entreprise de jardinage, ou paysagiste. Lors des troubles liés à la guerre civile, il a fait partie des nombreuses victimes de pillages. Originaire de Fogo, il a décidé de rentrer au Cap-Vert. Il me raconte qu’il a des cousins qui font de la pêche en apnée dans l’est ou le nord-est de Fogo, où la mer est très dure. L’un d’eux est mort noyé, il y a quelques mois.

Malgré ces difficultés passées, Marc est souriant et optimiste. Il trouve que le Cap-Vert est un pays qui lui offre beaucoup d’opportunités. Il ne veut pas retourner sur le continent, où il n’y a plus rien à faire, Sénégal et Côte d’Ivoire étant en plein déchéance. Son rêve est de créer un « club nautique » sur la baie de Praia, louer des jet-skis aux clients des hôtels de luxe. Je déteste ces engins, et je pense à ce que coûtera un jour le carburant… Je lui suggère de proposer des services d’avitaillement et de petit entretien aux voiliers de passage, mais y en a-t-il assez pour gagner sa vie ? En quittant la salle, Marc me laisse ses coordonnées à Praia.

Après son départ, c’est mon autre voisin, un européen, qui veut me parler, cette fois en portugais. C’est pourtant un grand nordique aux cheveux clairs, mais comme par un accord tacite, nous préférons laisser de côté notre anglais pour pratiquer le portugais, laborieusement. Nous échangeons des impressions et des informations sur le pays. Il a passé deux semaines à Praia avant de venir ici, et pense rester encore six semaines au Cap-Vert. Je lui conseille Fogo et Maio, mais il se dit incapable de faire des randonnées. Il n’a pas l’air beaucoup plus vieux que moi, mais il m’explique qu’il souffre d’arthrite. Il est en convalescence. Il est finlandais, et c’est pour la chaleur qu’il est venu ici. Je découvrirai bientôt qu’il a aussi des motivations un peu plus culturelles.

Après le repas, nous marchons dans la rue, et je lui fais part de mon intention de visiter l’ancien bagne portugais qui a terni la réputation de cette paisible petite ville, mais lui a valu une chanson de Bulimundo. Je ne sais pas exactement où chercher, mais il me dit que lui aussi veut y aller, et il connaît la direction : il faut reprendre la route de Châo Bom.

Sortis de Tarrafal, nous marchons au bord d’une route droite où voitures et camions nous frôlent à grande vitesse, il faut se serrer sur un bas-côté étroit. Nous continuons notre difficile conversation portugaise. Mon compagnon de voyage s’appelle Pekka Jurvelin. J’essaye de lui expliquer la situation des langues régionales et notamment de l’occitan en France, et en quoi consiste mon engagement associatif dans les écoles Calandretas . J’ai peur que mes propos ne soient pas très clairs, mais Pekka me répond qu’il comprend car il y a aussi des problèmes de langues minoritaires dans sa région, la Carélie, à l’est de la Finlande.

Nous parlons aussi de ce qui nous a conduits ici. Il me dit qu’il est écrivain, mais je n’ose pas avouer que, moi aussi, je prétends l’être. Nous découvrons que nous avons des lectures communes, comme l’angolais José « Luandino » Vieira, ou le portugais Antonio Lobo Antunes. Coïncidence extraordinaire, que nous nous trouvions, un finlandais et un français, le même jour en pèlerinage sur les lieux évoqués par ces auteurs ! La littérature sert peut-être à quelque chose…

Nous finissons par trouver, à droite, le chemin qui conduit au bagne, pas si loin de la route. J’aurais pu l’apercevoir lors de mon arrivée en aluguer…

De l’extérieur, on ne voit qu’un rempart crénelé en blocs de basalte, et deux tours qui encadrent un grand portail. Des tours aussi aux angles. Non loin de là, à l’extérieur de cette enceinte, un baraquement surélevé, en bois, qui a tout l’air d’un poste de garde.

Nous passons le grand portail, un gardien vient à notre rencontre. Il faut payer un droit d’entrée, puis il nous conduit dans une pièce voisine, dans l’épaisseur des fortifications, où trônent une télévision et un magnétoscope. Nous nous asseyons sur des chaises pliantes, mais après plusieurs tentatives, il faut se faire une raison : le magnétoscope ne marche pas. Un peu confus, notre guide nous accompagne pour la visite du camp. Il faut passer un pont qui franchit un profond fossé, juste derrière l’enceinte fortifiée. De là, on entre par un portail de fer rouillé dans la prison, qui est un vaste quadrilatère de sol rouge, cerné par le fossé et une clôture de barbelés. C’est là que s’élèvent quelques longs baraquements en dur, et de rares arbres.

Tarrafal était appelé « le camp de la mort lente », à l’époque où la dictature salazariste du Portugal y expédiait ses opposants, militants de gauche, indépendantistes des colonies africaines, objecteurs de conscience contre les guerres coloniales, de 1937 à 1974. Il a été fermé après la révolution des oeillets.

J’essaye de faire quelques croquis de détails, de la cuisine, du cachot, tandis que Pekka prend des photos. Un second gardien arrive, et à la fin de la visite, il arrive à nous mettre en marche la vidéo, et nous regardons un court documentaire historique sur le bagne.

A la tombée de la nuit, nous visitons rapidement le petit musée installé dans le baraquement surélevé que j’avais remarqué en arrivant. Malheureusement, il fait trop sombre pour bien en profiter. Il faudra revenir demain.

Le chemin du retour se fait dans le noir, par la même route, dangereuse pour les piétons. Pekka me parle de ses voyages en Afrique australe, notamment en Zambie, et me raconte que la principale cause de mortalité des européens en Afrique n’est pas la violence, ni la maladie, ni les serpents ou autres animaux, mais les accidents de la route.

Malgré cela, nous arrivons sains et saufs à Tarrafal, et nous allons boire ensemble à la terrasse d’un petit bar où nous sommes les seuls clients. Il m’explique qu’il écrit des livres sur ses voyages dans les régions sauvages de Finlande. Pour le premier, il a navigué sur la rivière Oulujoki, seul, à l’aviron. Je lui avoue à mon tour que j’écris, que j’attends le verdict des éditeurs, mais j’ai le plus grand mal à lui expliquer en portugais de quoi parle mon roman.

Je l’accompagne jusqu’au restaurant de l’hôtel où nous nous sommes rencontrés, mais je n’y reste pas, je ne vais pas manger ce soir. Je retourne faire un tour dans le centre de Tarrafal, en quête de musique, mais je vais bientôt me coucher, un peu déçu.

mardi 8 décembre 2009

Fin du séjour à Maio, et retour à Saotiago.

En arrivant à l’hôtel, je rencontre Ismaël, le pompier. Il va au marché, où des gens se réunissent pour jouer aux cartes, aux dames, à l’awélé. J’y suis déjà passé, il y a un ou deux jours. C’est un bâtiment moderne, proche de mon hôtel, avec une vaste cage d’escalier intérieure qui permet d’accéder à des boutiques dans les galeries supérieures, mais la plupart sont fermées.

Je voudrais acheter « A Semana », l’hebdomadaire qui a dû paraître hier. La patronne de l’hôtel ne sait pas où se vendent les journaux ! Elle m’explique que les gens sont abonnés, et m’envoie près de l’église. De là on me fait redescendre vers une boutique derrière l’hôtel. Chaque fois, j’ai l’impression de demander la lune. Au bout de mon périple, je n’ai pas de journal. Je verrai à Praia.

A midi, j’essaye le restaurant de l’hôtel Marilù, voisin et concurrent du Bom Sossego. Je suis le seul client. A mon retour au Bom Sossego, Ismaël mange tout seul, et la serveuse somnole dans un coin. Mais quand donc arriveront les hordes de touristes ?

La capacité d’accueil des hôtels capverdiens de Maio semble loin de la saturation. L’offre des futurs hôtels et « resorts » à construire est donc totalement inutile, et leur remplissage ne sera possible qu’en suscitant une demande artificielle par le biais des tour-operators, des agences de voyage, et d’internet ! Il en résultera une augmentation tout aussi artificielle du trafic aérien et de la dépendance au pétrole, en transportant inutilement une clientèle qui ira à Maio comme elle irait à Benidorm ou à Tenerife !

Je voulais profiter de la plage, mais le vent violent m’en a dissuadé. Il fait très chaud jusqu’en fin d’après-midi, et la nuit tombe vite. Demain sera mon dernier jour, j’espère que je pourrai profiter de la plage.

Je crois que j’ai fait le tour de Maio, dans tous les sens du terme. Pour rester plus longtemps ici, il faudrait travailler, écrire, avoir mon ordinateur, et un peu plus de vie sociale, louer une maisonnette ancienne dans le village, m’intégrer, même provisoirement. Je suis dans le même état d’esprit qu’à la fin de mon séjour à Fogo. Il faut partir, ou décider de rester. Je partirai en pensant à revenir.


Dernier jour à Maio.


Avant de prendre la cachupa du matin, j’ai demandé à la serveuse la permission de passer mon disque d’ Ildo Lobo sur la chaîne du restaurant. Mon dernier jour ici commence dans le bonheur.

Je retourne marcher sur la longue plage de Vila, où j’avais examiné de près les barques. Je vais plus loin que la première fois. Pour passer sous le wharf de béton, il faut courir en profitant de l’intervalle entre deux vagues. Je m’éloigne de la ville. Le soleil n’est pas encore très haut. Partout dans le monde, les plages sont plus belles le matin. Un pêcheur rentre, sa canne sur l’épaule. Comme l’autre jour, les petits limicoles s’enfuient devant l’écume qui monte à l’assaut de la plage, et la poursuivent quand elle redescend. Je trouve, depuis mon arrivée dans ce pays, qu’il y a assez peu d’oiseaux.

L’eau est froide, et le vent assez fort. La plage tourne bientôt vers le nord, en direction de Morro, dont j’aperçois, au loin, les villages de bungalows. Je n’irai pas aussi loin, aujourd’hui, je rebrousse chemin. Les pieux en bois brûlé, et percé, qui devaient soutenir un ancien wharf, sont encore bien plantés dans le sable et dans l’eau. Le soleil leur donne des ombres allongées et un petit air d’installation d’art contemporain.
( photo sur ecabo-verde.com )
Au passage, je relève les noms de quelques barques, c’est toujours un indice sur la culture du pays. « Vanusa », une femme ? « Vamos com Deus », Allons avec Dieu, et le plus émouvant « Sufri caladu », Souffrir en silence…

En fin de matinée, toutes les églises, catholiques ou protestantes, sont pleines.

Sur la place, devant le Bom Sossego, il n’y a pas beaucoup d’ombre vers midi. C’est le moment que choisit Ismaël pour m’emmener dans une toute petite loja qui fait coin, juste en face de l’hôtel. Une vieille dame nous y fait goûter son grogue, beaucoup trop fort pour moi. Je serai bon pour une sieste !

Quand le soleil commence à faiblir, je ressors. Je vais cette fois au sud, vers la plage de Ponta Preta . Il fait bon et la houle est moins forte. Les vagues remplissent d’eau claire des piscines naturelles, peuplées de crabes et d’oursins, qui se déversent l’une dans l’autre en cascades. Je me baigne dans une de ces piscines au fond sablonneux.

Je vais ensuite marcher longuement sur la plage, je me sens purifié et réconcilié, plein d’allant et d’optimisme. Je dépasse les petites falaises sous lesquelles j’avais fait la sieste, avant de retourner à ma piscine pour un dernier bain au soleil couchant. Il faudra que je revienne, accompagné, et vite.

Il fait presque noir quand j’arrive à Vila et je passe devant le bar « Couleur Café », tenu par un français dont m’avait parlé mademoiselle Hê. Il n’y a donc pas que des allemands, espagnols ou italiens qui investissent ici. Mais l’établissement est très modeste et situé dans la ville déjà existante. Le jeune homme vit avec une capverdienne. Il est à Maio depuis deux ans, et son bar est ouvert depuis quelques mois. Il aménage une terrasse sur le toit pour y faire un petit restaurant. Nous parlons des perspectives de développement, et du risque de voir Maio devenir comme Sal.

Il me confirme que juin est le meilleur moment pour venir ici. Il me raconte également que, la dernière fois qu’il a escaladé le Monte Penoso, il a dû ensuite marcher six ou sept heures pour revenir, et arriver de nuit.

En sortant, je remarque dans le ciel une belle demi-lune. Mes enfants m’attendent pour la prochaine pleine lune. Il me reste une semaine à consacrer à la grande île de Sâotiago.




De Maio à Praia.


J’ai voulu profiter au maximum de ma dernière matinée, en me levant le plus tôt possible, et aussitôt après mon petit-déjeuner, je suis retourné à la plage de Ponta Preta.

La marée est plus haute qu’hier soir, et il fait encore un peu trop frais pour se baigner, mais je passe un bon moment de tranquillité à observer et écouter les vagues qui remplissent les piscines, l’eau qui s’écoule avec un bruit de ruisseau de montagne.

Je retourne tout doucement à Vila, en passant par la crique de basalte que j’avais découvert le premier jour, et en longeant les falaises, près des chantiers de villas où l’on ne s’active guère.

Je paye l’hôtel, je me douche, je boucle mon sac à dos. Hier soir j’ai fait un peu de repassage, mais ce matin je dois encore abandonner une partie de mon linge. Les bouteilles de vin, le café de Fogo qui embaume mes affaires, les coquillages, les livres, les disques, tout à fait prendre du poids à mon sac. J’abandonne aussi ma gourde, qui fuit.

En sortant, je suis interpellé par Ismaël, qui me fait signe, sous un acacia de la place. Il va bientôt partir lui aussi, pour l’aéroport. Oui, au boulot ! J’aimerais bien que les pompiers soient à leur poste quand je décollerai, tout à l’heure !

Je traverse Vila par le front de mer, et je prends le chemin de l’aéroport. Un aluguer s’arrête à ma hauteur, on me fait signe de monter à l’arrière. Je suis presque arrivé, mais j’accepte. Lorsque le chauffeur dépasse sans s’arrêter la bretelle de l’aéroport, je comprends qu’il a cru que j’allais à Morro. Je dois crier et taper sur le toit de sa cabine pour l’arrêter. Je descends, et je veux le payer. J’ai droit à un grand sourire et un pouce levé : « Fish ! » Oui, c’est encore gratuit !

Dans un coin de la minuscule aérogare, une dame est en train d’installer et garnir son étal de souvenirs. Quelques poupées, quelques cartes postales, deux livres, deux bouteilles de grogue de Santo Antâo…

Je suis à nouveau très en avance. Seul le chef d’escale de la TACV est là, mais le comptoir d’enregistrement est fermé. J’aperçois aussi Ismaël, qui va et vient sur le tarmac au volant d’une Land-Rover rouge.

Plus tard arrive un minibus qui dépose le personnel de la TACV, puis de nombreux touristes que je n’avais jamais vus, des italiens, des américains, qui devaient se cacher dans un village touristique de Morro… Savaient-ils seulement où ils étaient ?

Mademoiselle Hê sera aussi du voyage. Elle me dit qu’elle est invitée à un « meeting » à Praia. J’en déduis qu’elle est du Peace Corps, car il y a quelques jours, j’ai vu au journal télévisé local une interview du responsable de cette organisation pour le Cap-Vert. Il annonçait qu’une fête aurait bientôt lieu pour célébrer les quarante-cinq ans de cette organisation. Je lui pose la question, et elle me le confirme.

Plusieurs capverdiens enregistrent comme bagages des glacières plus ou moins bien fermées par du scotch. Je me demande ce qu’elles peuvent contenir. Tout se passe dans la décontraction, mais sans pagaille, ni paranoïa. Ici, tout le monde se connaît, personne n’est suspect de terrorisme.

Sur le parking, où je sors prendre l’air, je croise Alberto, mon hôte de Morro, qui me fait des adieux pleins d’émotion, et me demande de lui écrire. Dans l’aérogare aussi, Ismaël est venu me voir, et nous avons échangé nos e-mails.

Au moment d’embarquer, tandis que je marche vers l’ATR, il m’appelle encore, et je quitte la file des passagers pour une dernière poignée de main.

Je m’assieds vers l’arrière de l’avion. Décollage raide, virage à gauche. Est-ce par ce que l’avion est plus gros et plus rapide ? Est-ce parce que le vent est favorable dans ce sens ? Le vol semble encore plus court qu’à l’aller. Peut-être dix minutes de vol horizontal avant d’amorcer la descente. Les turbulences nous secouent dans le dernier virage au large de Praia, nous passons à basse altitude sur le port, j’aperçois fugitivement l’engin ukrainien de Fogo, amarré au quai.

Je trouve un taxi devant l’aérogare mais, au moment de démarrer, le chauffeur me demande s’il peut embarquer son frère. Frère ou pas frère, j’accepte. Le frère monte à l’avant, ainsi qu’une jeune fille. En route ! L’autoradio joue du merengue et du reggaetòn. Cela m’amuse et je demande si les gens d’ici aiment beaucoup ces musiques. La passagère se retourne et me demande si c’était bien moi dans l’aluguer qui a fait le tour de Maio il y a deux jours ! Bien sûr, je la reconnais aussi, c’est l’amie du chauffeur !

Je débarque pour la troisième fois à l’hôtel Sol Atlàntico. On commence à m’y connaître, mais je dois tout de même remplir une fiche !

samedi 5 décembre 2009

Le tour complet de l’île.

Dans la même tenue que l’avant-veille, pour me protéger du soleil, je quitte Vila par l’est. Il n’est pas encore neuf heures quand je passe devant le lycée, je suis dans les mêmes temps que lundi pour la marche de vingt-cinq kilomètres.

Mais aujourd’hui, mes projets sont moins précis. Je voudrais voir la côte est, que je ne connais pas encore. Cela suppose de faire au moins une partie du trajet en voiture.

J’ai de la chance, je trouve très vite un aluguer. C’est un vieux minibus. A l’avant, le chauffeur et sa compagne. Je m’assieds derrière, et une vieille dame monte à bord avec moi. Le chauffeur m’annonce qu’après l’oasis de Figueira da Horta, il ira vers le nord. C’est parfait pour moi, car la seule route possible là-bas est celle qui longe la côte est.

Nous passons par là où j’ai fait la course avec un écolier qui ne voulait pas se laisser doubler. Cette fois, avant d’arriver à Figueira da Horta, le chauffeur prend la bifurcation que j’avais délaissée, et qui conduit au village de Barreiro. Comme cette île me plaît, et que je voudrais en connaître chaque recoin, je suis content de l’aubaine.

La route est sur une crête, très vite on revoit la mer, et un voilier qui passe au loin. On traverse un plateau pierreux et dénué d’arbre. Il y a toujours de ces petits enclos en pierre pour les chèvres, mais sans l’acacia au milieu, ils prennent de faux airs de vestiges préhistoriques.

Barreiro se compose de deux hameaux proprets, sur les deux bords d’une ribeira parfaitement à sec. Les rues principales sont pavées, et s’y alignent de petites maisons basses aux façades multicolores.

Hier, j’ai envisagé de louer un aluguer pour moi seul, le chauffeur m’aurait conduit directement où je voulais. Dans ce taxi collectif, je dois me plier à des aléas qui m’échappent, mais l’imprévu et la découverte compensent les contretemps. Le chauffeur parcourt les deux hameaux au pas, comme s’il cherchait quelque chose, ou quelqu’un. A présent, quand on me demandera si je connais Barreiro, je répondrai « oui » sans hésiter !

De retour à la route principale, on tourne à droite. Nous sommes à Figueira da Horta en quelques minutes. La vieille dame descend et remercie le chauffeur qui ne lui réclame pas d’argent. Lui, me dit qu’il veut faire un crochet par Ribeira Dom Joâo. Va pour Ribeira Dom Joâo ! Mais d’abord, il y a un crochet dans le crochet, pour passer à Ribeira seca, un hameau que je ne connaissais pas. Encore une fois, nous ratissons les petites rues au pas. Enfin réveillé, je comprends que mon jeune chauffeur est à la chasse aux clients ! A Ribeira dom Joâo, la route s’achève, et nous n’avons toujours pas de client. Demi-tour !

Juste avant d’entrer à nouveau dans Figueira da Horta, nous prenons enfin la piste du nord. Il n’y a plus de pavés, on suit le fond d’une ribeira, la piste est à peine tracée. Le chauffeur hésite, il semble parfois perplexe. Enfin, on remonte sur le plateau, et toute végétation disparaît !

Dans ce secteur, entre les collines nommées Lomba da Vigia et Monte Branco, nous traversons un paysage d’une aridité absolue ! Cailloux et poussière rouge. Au flanc des collines, des strates plus dures, dégagées par l’érosion, font des saillies rectilignes. Le vent de l’océan n’arrive pas à nous, sans doute dévié par le relief. Rien n’indique plus que nous soyons dans une île, ce pourrait aussi bien être le cœur du Sahara. Nous ne croisons qu’un seul être humain, qui marche au loin. Quelques pierres blanchies à la peinture balisent la piste.

Cela ne dure que quelques kilomètres. A l’approche du village de Pilâo Câo, l’océan se fait à nouveau sentir, et l’on aperçoit un peu de vert au loin. Le premier arbre que nous croisons, d’une espèce que je ne connais pas, semble très vieux, torturé, le tronc percé d’une large ouverture, un siècle de vent l’a obligé à pousser presque couché. Victime du vent d’est !

Une pancarte annonce une zone d’irrigation par goutte-à-goutte. On voit les panneaux solaires qui alimentent une pompe et les parcelles de maraîchage sont sillonnées de petits tuyaux de plastique noir.

Pilâo Câo n’est pas au bord de l’eau. D’ici, on devine la côte rocheuse et sans plage, exposée aux vents dominants, ce n’est pas un lieu pour la baignade. Ici, il n’y aura pas de lotissement, ni d’hôtel. Pas de chinois, pas de téléphones portables, pas d’internet. Ici, le Cap-Vert de Marc Trillard et Jean-Yves Loude, continue à exister, oublié du monde, mais peut-être les gens partiront-ils là où il y aura du travail, comme maçon, ou plongeur de restaurant. Ou à l’étranger.

Dans le village, nous retrouvons les pavés, mais toujours pas de client. Un peu plus loin, au village d’Alcatraz, personne. Les affaires ne vont pas fort.

Nous poursuivons vers le nord, toujours sur le pavé. Je n’ai jamais été si proche du Monte Penoso, dont nous longeons le flanc est, moins escarpé que les autres. Je voulais demander au chauffeur de me déposer à proximité d’une chapelle isolée, à gauche de la route, peu après Alcatraz. C’est de là que je pensais tenter l’ascension. Mais, à mesure que nous en approchons, mon enthousiasme refroidit. Comment rentrer après ?

Le chauffeur estime qu’il passe par là deux ou trois véhicules par jour. Peut-être moins, car nous sommes samedi. Je ne peux pas lui demander de m’attendre plusieurs heures à côté de la chapelle. Je ne peux pas non plus lui demander de revenir me chercher ce soir, le rendez-vous serait trop incertain…

Quant à rentrer à pied, cela signifie au moins quinze kilomètres seul à la nuit tombante. J’aurais dû prendre mon sac à dos et mon duvet, pour pouvoir dormir à Alcatraz. C’est beaucoup de complications pour un sommet qui n’a pas l’attrait du Pico de Fogo. Je deviens de moins en moins vaillant…
Je décide de rester avec mon chauffeur et son amie, toujours en quête d’un passager. Au village suivant, Pedro Vaz, la maraude continue, rue par rue, sans succès. Nous avons deux possibilités : soit rejoindre Cascabulho directement par la piste principale, soit faire un crochet encore plus au nord par les hameaux de Praia Gonçalo et Santo Antonio.

Nous tentons d’abord la seconde option, mais nous déchantons vite. Peu après Pedro Vaz, il y a un passage très raide, en virage, sur terrain sablonneux. Après plusieurs tentatives, il devient certain que le minibus ne passera pas. Il faut retourner au village et partir vers l’ouest, à travers la brousse, sur une mauvaise piste, avec de longs passages de tôle ondulée. Je revois encore des paysages dignes du Burkina Faso, la Haute-Volta de mon enfance.

La piste est régulièrement coupée par des chantiers d’empierrage, que nous devons contourner par le bas-côté. Mais aujourd’hui, personne n’y travaille. Enfin, nous arrivons à Cascabulho, où je suis passé, il y a moins de quarante-huit heures.

Le chemin du retour est le même qu’avant-hier, par Morrinho et Calheta, mais cette fois j’ai tout le loisir d’apprécier la visite de Calheta à vitesse réduite. Contrairement aux autres plages de cette région, celle-ci semble protégée, peut-être par des récifs, les vagues y brisent beaucoup moins fort, et des barques y reposent tranquillement. C’est sans doute pour cela que le village est au bord de l’eau, alors que Morro et Morrinho sont plus en retrait.

Nous arrivons à Vila, la boucle est bouclée. Il n’y a plus guère de village dans cette île où je ne sois passé au moins une fois. Ces endroits perdus où il ne se passe rien m’attirent plus que les grandes métropoles. Je mourrai sans doute sans avoir vu Londres, ni Tokyo, ni New-York, ni les traders, les golden-boys, les top-models, les stars, les people, et les peintres ou chorégraphes en vogue, et ça ne me manquera pas. Mais je me souviendrai de Barreiro, Ribeira Dom Joâo, Pilâo Câo…

Le pauvre chauffeur n’a eu que moi comme client dans toute la matinée. Au moment de payer, il ne me donne pas de prix. A moi de voir. Je suis un peu embarrassé. Entre ses dents, son amie, qui me tourne le dos, lui enjoint de me demander « mil escudos ». C’est à peu près ce que j’envisageais, et c’est presque tout ce que j’ai en poche. Je lui tends les billets et nous nous séparons bons amis.

lundi 30 novembre 2009

Où je perds le nord.


En pantalon et longues manches pour éviter de recuire les brûlures reçues, malgré la crème solaire, lors de ma longue marche sur les plages du sud, et portant mes bonnes chaussures de randonnée, je reprends la route de Morro, avec l’intention d’atteindre cette fois l’extrémité nord de l’île.

L’auto-stop est plus efficace qu’hier. La première voiture qui s’arrête va loin. Je m’installe à l’arrière, sur la plate-forme, et je me cramponne. Le chauffeur va vite, nous traversons bientôt Morro sans nous arrêter, pour continuer à travers ce qui est marqué sur certaines cartes comme une zone de reboisement. En fait de reboisement, je ne remarque qu’une plus haute densité d’acacias…

La route longe la côte ouest à un kilomètre de distance en moyenne, et à main droite on aperçoit quelques collines rouges et pelées, dont la plus haute ferait presque trois cents mètres de haut, et s’appelle Monte Batalha. Je me demande à quel épisode historique se rapporte ce nom. Qui est allé se battre là-bas, et pourquoi ? Encore une histoire de corsaires ?

Nous traversons Calheta, qui est un village de pêcheurs où je reviendrais bien faire un tour. Moins de cinq kilomètres plus loin, c’est Morrinho, à quinze petits kilomètres au nord de Vila do Maio. Ici, la route principale, la seule qui soit pavée, tourne à droite pour desservir les villages de l’intérieur, dont le principal est Cascabulho. Je me fais déposer au centre de Morrinho, car je voudrais voir les grandes salines qui, selon ma carte, se trouvent à proximité.

Le village et légèrement plus haut que les environs, et en scrutant les alentours, je ne distingue aucune saline. Elles devraient être au nord. Je tourne donc le dos à la route par laquelle je suis arrivé, et je me lance.

A proximité du village, dont je sors, le sol, dénué de végétation, est jonché de détritus de toutes sortes, principalement de sachets, de petits objets et de débris de plastique et de métal. Les industries de Chine et des pays du nord déversent par cargos entiers leurs pacotilles sur des territoires où les services de collecte et de recyclage des ordures sont défaillants ou inexistants, et les pays du sud deviennent des dépotoirs… Quand ce n’est pas le vent qui pousse vers les îles toutes les saletés dérivant sur l’océan.

Autour du tronc des acacias, il y a souvent un muret de pierres sèches qui forme un enclos circulaire de quelques mètres de diamètre, où sont enfermées des chèvres, ou des gorets. La brousse où je m’avance est aménagée par l’homme. Il y a partout de ces murets, ou des clôtures de branches épineuses, qui délimitent des champs, parfois simplement des filets tendus entre les arbustes. Partout, des traces de passage dans la poussière, qui font une multitude de sentiers.

Je trouve un long passage ombragé par des arbres un peu plus hauts que la moyenne, le long d’une clôture. J’y croise un jeune garçon sur son âne, et j’aperçois une femme avec un fagot sur la tête. Encore une fois je me sens replongé dans le sahel de mon enfance, à la différence qu’ici les quelques bovins qui errent ne sont pas les zébus à bosse que j’ai connus.

J’erre moi aussi dans ce paysage où rien n’indique la proximité de salines, alors que le soleil montant commence à taper. Où est la mer ? Je devine de hautes dunes au-delà d’une forêt d’épineux, mais elles me semblent bien plus éloignées que celles que je voyais du village. Village que j’ai perdu de vue, d’ailleurs…

J’ai pris soin de repérer quelques détails, et quelques tournants du sentier pour faciliter mon retour. J’en ai assez de chercher. Quelque chose ne colle pas entre ma carte, le paysage, et mon orientation. C’est vexant, mais je rebrousse chemin, je retourne à Morrinho.

Il est supposé y avoir un village de pêcheurs nommé Porto Cais à trois kilomètres à l’ouest de Morrinho. Lorsque, enfin je croise quelqu’un, on m’indique la direction d’où je viens. Je suppose que, croyant marcher vers le nord, j’ai peu à peu dévié vers l’ouest, je fuyais peut-être le soleil sans en avoir conscience… Et j’ai dû prendre une direction qui me conduisait quelque part dans la brousse, entre Porto Cais et les salines…

Etant revenu tout près de Morrinho, je décide de me diriger vers les dunes les plus proches. Je travers d’abord des terres salées, en évitant les quelques bovins qui y cherchent pitance. Le vent lève des tourbillons de poussière rouge sur les champs de salicornes.

J’arrive enfin au sable. C’est un grand massif de dunes, j’entends bien la mer, mais il y a plusieurs lignes de crêtes à franchir avant de l’apercevoir. Je prends pour repère le seul groupe de palmiers des environs. Il pousse aussi des tamaris, les troupeaux de chèvres et de vaches trouvent peut-être plus de verdure ici que dans l’intérieur. Lorsque je découvre la plage, je m’aperçois qu’elle est très étroite. La marée doit être au plus haut, car les rouleaux brisent presque au pied des dunes.

De retour à Morrinho, je m’en remets au hasard de l’auto-stop pour décider si je retourne à Vila, ou si je continue vers Cascabulho. Le soleil est au plus haut, le village est assoupi, et aucun véhicule ne se présente.

Le centre du village s’organise autour d’un petit rond-point, à l’endroit où la route tourne vers l’est. Tout est là, dans un rayon de cinquante mètres : école, église, coopérative, épicerie-bar… Je m’achète une bouteille de soda à l’orange, et je cherche un peu d’ombre pour la boire.

J’ai de la chance. A midi et demie, les enfants sortent de classe, et un aluguer arrive. C’est lui qui fait le transport scolaire. Il doit aller à Cascabulho, puis rentrer à Vila. C’est parfait pour moi. Le chauffeur me fait monter à l’avant, et les enfants sur la plate-forme arrière. A la radio, j’entends encore Lura, la jeune chanteuse capverdienne du Portugal qui connaît la gloire depuis qu’elle est revenue au répertoire de son pays d’origine. Elle avait commencé dans un registre plus commercial comme choriste d’un chanteur de zouk-love de Sâo Tomé, nommé Juka, dont la chanson « Amiga » est aussi un tube omniprésent en ce moment au Cap Vert. Bénie par Cesaria Evora, avec qui elle s’est produite en tournée, Lura devient la nouvelle icône du Cap-Vert. Son succès du moment, aux accents nostalgiques, prend toute sa saveur dans ce petit village perdu de Maio : « Ô Na ri na, ôô na ri na … »

Cascabulho est un village rue, avec une quinzaine de maisons basses de chaque côté. C’est aussi le bout de la route pavée. Au-delà, une piste poussiéreuse conduit vers les hameaux de la côte est. De là, le Monte Penoso semble assez proche, mais pas très engageant. Nous sommes encore à plus de cinq kilomètres de l’extrémité nord de l’île, je n’ai toujours rien vu qui ressemble à des salines, et j’ai encore un peu de mal à m’orienter. Il est temps de rentrer.

J’ai fait un rapide tour du village avant de revenir à la camionnette, et j’attends. Je ne sais pas exactement quoi. Les enfants sont allés chercher des chèvres que le chauffeur doit livrer quelque part. Pattes ligotées, on les balance à l’arrière…

Le retour à Vila est rapide. En traversant la « forêt » près de Calheta, j’aperçois les foyers fumants des charbonniers qui produisent du charbon de bois pour les fourneaux et braseros de l’île.

jeudi 26 novembre 2009

Mercredi des cendres


A Maio, le mercredi des cendres, on mange maigre, ce qui ne veut pas dire que l’on mange peu ou mal. Je ne m’attendais pas à un tel festin ! Poisson en sauce avec patates douces, manioc, semoule et fèves. J’en viens à bout et je commande un café avant une sieste digestive, mais il y a encore un dessert : le gâteau au « cuzcuz » de maïs, très dense, avec sa sauce au caramel et au rhum ! Après quoi, je me traîne jusqu’à mon lit où je reste jusque vers dix-sept heures.

Je n’ai pas renoncé à mon excursion vers le nord, et je sors du village à pied, par la route qui mène à l’aéroport. Je longe des lotissements récents. Une dizaine de villas blanches toutes semblables, flanquées d’une tour ronde, avec des toits de tuiles. Exactement ce qu’on peut voir en Espagne sur les côtes méditerranéennes dévastées par les promoteurs. Détail qui achève ce funeste tableau : la pancarte de mise en vente est en allemand ! Le pire a déjà commencé ! En face, c’est un petit immeuble d’appartements, avec la pancarte d’un promoteur italien !

Sur la route toute droite et pavée qui va vers le village de Morro, je remarque comme l’autre jour de nombreux fossiles, parfois très gros. Le trafic routier est faible, et l’autostop ne marche pas fort. J’ai décidé d’aller où ira la voiture qui voudra bien m’embarquer. Je croise les pompiers de l’aéroport qui vont en ville. Avec la fréquence des vols qu’il y a ici, ils doivent s’ennuyer !

Je dépasse l’aéroport. Les paysages sont toujours très sahéliens, mais sur ma gauche, au-delà des dunes et des salines, je vois d’énormes rouleaux briser sur la plage. A ma droite, la brousse et de vagues collines rougeâtres.

Presque arrivé à Morro, je suis embarqué par une voiture qui va à…Morro. Le chauffeur m’a reconnu comme le bonhomme qui faisait des dessins au carnaval. Je suis assis à l’arrière avec les enfants du passager, qui parle français. Il a vécu à Dakar et en France, et me dit qu’il est un cousin du Bom Sossego, où je loge. L’île est petite, et, mine de rien, je suis déjà repéré, on sait bien des choses sur moi. Ça me rassure plutôt : c’est la preuve que, malgré le déferlement imminent des barbares -ou tartares-, qu’on attend comme dans Buzzati, les étrangers sont encore assez peu nombreux à Maio pour qu’on s’intéresse humainement à eux. Je vis peut-être la fin d’une époque.

Je fais tourner les pages de mon carnet pour montrer les dessins aux enfants. Et je me demande si l’un ou l’autre des adultes assis à l’avant n’était pas sous le masque de l’un des « pailhasses » d’hier.

Le chauffeur nous dépose à Morro devant la maison de son passager, Alberto, qui m’invite à boire un coup chez lui. C’est une petite maison de plain-pied, qui ne paye pas de mine, avec des rideaux de dentelle aux carreaux. C’est la première fois qu’on me fait l’honneur de me recevoir dans l’intimité d’un foyer capverdien. Nous nous asseyons dans la petite salle à manger. Je tourne le dos au coin salon où une grosse télévision trône devant un canapé bon marché. On est beaucoup plus proche d’un modeste appartement européen que d’une case villageoise d’Afrique de l’ouest.

Mon hôte sort, d’un haut buffet, deux petits verres et une bouteille de grogue, le rhum capverdien. Il me raconte qu’il est gardien de jour des bureaux du port. Il a été chef de chantier pour un français qui voulait construire un village de bungalows sur la plage de Morro. Mais ce patron est à présent emprisonné à Praia. Il a fait des bêtises. « Oh, des bêtises » dit Alberto, sans entrer dans les détails. Mais j’ai déjà eu vent de cette histoire. Le français serait tombé pour pédophilie.

Les enfants sont devant la télé, et la maîtresse de maison arrive. Après avoir bu mon verre de grogue, je prends congé pour aller voir la plage avant la nuit.

Morro est à un petit kilomètre de la mer. Il y a quelques palmiers, puis je traverse une sansouire, dans un petit estuaire largement asséché où subsiste une grande mare salée, séparée de l’océan par la plage où gronde la barre, qu’on entend bien avant de la voir.

Sur la rive droite de cet estuaire se trouve le village de bungalows abandonné, et sur la rive droite, un autre complexe, un peu plus loin de moi, où je vois des lumières qui s’allument, alors que la nuit commence à tomber. De retour à Morro, je retrouve Alberto, qui m’explique que le village du français a été vendu à des anglais qui n’en font rien . L’autre village, où j’ai vu de la lumière, aurait été créé par des espagnols, avant d’être vendu à des allemands. J’en déduis que c’est là que doit loger le groupe d’allemands qui avaient eu droit à un traitement de faveur, lors de l’annulation du vol de Praia. Ils ont certainement aussi bénéficié du vol qui nous avait « oubliés » le lendemain matin. C’est pour cela que je ne les ai jamais revus.

Alberto à l’air de croire que je pourrais faire quelque chose pour que l’entreprise du français emprisonné soit poursuivie. Il me donne son adresse, au cas où je déciderais des investisseurs, et veut me convaincre que ce serait une bonne affaire. Il m’explique que la meilleure saison, pour séjourner à Maio, serait le mois de juin, où le vent est faible, les températures plus élevées et la mer calme. C’est à ce moment que les tortues marines viennent pondre. D’où l’importance accordée à la protection des plages, et des dunes. Je me souviens que c’est aussi le temps des vendanges sur le volcan de Fogo. Il faudra penser à tout ça si je reviens un jour.

Je retourne à pied à Vila, à cinq kilomètres, alors que la nuit se fait de plus en plus noire. Heureusement, j’ai une petite lampe, car je suis en pleine brousse, et la route n’est absolument pas éclairée. Les rares véhicules vont trop vite, et me voient trop tard pour me prendre. Peu importe, il règne une telle paix ici que je suis certain d’arriver sans encombre.

A l’entrée de la ville, je m’arrête à la station-service pour regarder le prix du carburant. Le sans-plomb est à 132 escudos, un tarif digne de l’Europe, alors que le pouvoir d’achat, ici, est beaucoup plus faible. J’arrive avant l’habituelle coupure de courant du soir. A l’horizon, toujours les lumières de Praia qui scintillent de l’autre côté du bras de mer.

samedi 21 novembre 2009

Le carnaval de Maio

A mon arrivée, il y a du monde sur l’avenue, mais la fête n’est pas encore commencée. Les techniciens du son et leur matériel, ainsi que le jury qui devra évaluer les différents groupes, sont installés à la terrasse de la délégation locale du ministère de l’agriculture, la pêche et l’environnement, dont la façade est décorée de papier crépon et de guirlandes.

Après une longue attente, le premier char apparaît, entouré de danseuses de samba, très jeunes et dansant très moyennement, mais qui ont le mérite de chanter en même temps. Quant au char, je vais mettre un moment à comprendre que ce dos de chameau partiellement couvert de sable collé, posé sur une remorque dont le pourtour est décoré de branches de tamaris, représente une dune ! Le thème du carnaval des grands est le même que celui des petits : la défense de l’environnement. Et les massifs dunaires, surtout sur la côte ouest, font partie du patrimoine naturel de Maio. C’est ce que rappellent les banderoles arrivant derrière le char. Ayant moi-même consacré beaucoup de temps, d’argent et de sueur à planter des ganivelles sur les dunes entre Sète et Agde, je suis sensible à la chose…

Divers chars se suivent, mais le spectacle est aussi dans le public, avec des déguisements et des comportements un peu fous, dans une ambiance bon enfant et rigolarde ! Les curieux viennent gentiment regarder mes croquis…

Deux personnages remarquables sont vêtus et gantés de façon à être méconnaissables… L’un d’eux a un pantalon rembourré, l’autre une combinaison de travail orange, ils portent de hideux masques de carton ondulé, avec de grandes dents jaunes et une langue pendante rouge… Sur un plastron en carton, l’un a écrit « Paz e amor » autour du nœud rouge symbole de la lutte contre le sida. Ils sont armés de longs tubes de carton qui leur servent de matraques. Ils ne disent rien, mais ont manifestement le rôle de « police » du carnaval, aux ordres du jury. Leur apparence et la crainte qu’ils inspirent me fait irrésistiblement penser, en moins violents, aux fameux « pailhasses » de Cournonterral, dans l’Hérault, avec qui ils partagent certainement de lointains ancêtres issus des carnavals occitans et portugais.

Alors qu’en Europe, pour le carnaval, les enfants se déguisent pathétiquement en Spiderman avec des costumes achetés, ce sont les petits capverdiens de Maio qui cultivent leur part de culture européenne, en se bricolant eux-mêmes des heaumes de chevaliers en carton, des capes, et des épées de bois.

Trois adolescents sont grimés en esclaves et négrier. Le plus grand fait le négrier, avec un gourdin en carton, les deux autres sont torse nu et en pantalon corsaire, enduits d’une huile foncée qui les rend plus noirs que ne l’est leur peau de métis. Ils sont enchaînés l’un à l’autre et miment en riant la marche titubante des esclaves sous les coups du négrier. Ils insistent pour que je les prenne en photo.


Le même thème est repris par un des chars, une camionnette sur laquelle sont assis un couple de colons avec de belles toilettes blanches, chapeaux, ombrelles, enfants endimanchés, et derrière eux le « pelourinho », le pilori auquel sont attachés, bras en l’air, un couple d’esclaves. Accrochés au pare-choc arrière du véhicule, un cortège d’esclaves encordés et traînés, tandis qu’un contremaître ferme la marche en les frappant. Les acteurs jouent leur rôle avec réalisme, mais le garde-chiourme leur donne tout de même à boire régulièrement.

Il y a d’ailleurs un service de boisson pour tout le cortège et les danseuses, à qui des proches tendent régulièrement de l’eau.

Chaque char a sa reine, ou parfois son roi, juchés sur la dune en plastique, ou sur une remorque ou camionnette décorée. Deux zèbres ornent le char « Terra Africa », une grande tortue marine en résine et fibre de verre sur le char « Protegemos o mar ».
Un autre char est consacré à la lutte contre le sida. Il porte la devise « Mantener a promesa », traduction du slogan américain « Keep the promise », ce qui me fait soupçonner qu’une église évangéliste est à l’origine de ce char. J’ai remarqué qu’il y en a au moins une installée dans le village, leur temple est dans une villa de l’avenue.

A l’arrière, un groupe de petits garçons en treillis et béret, avec des fusils de bois, est suivi par une fillette qui brandit une pancarte : « Guerra nâo ».

Ce n’est pas fini ! La parade continue avec des boxeurs, des travestis dont se moquent les matrones du village, des balayeurs de rues poussant une poubelle, des danseuses costumées en africaines ou en créoles… Il y a même un isolé en homme-grenouille. Il porte une combinaison en néoprène, malgré la chaleur, une bouteille d’air, un masque, des palmes et un fusil harpon, heureusement hors d’usage, et joue son rôle jusqu’au délire : à plat ventre sur le pavé, il nage à la poursuite d’une vieille bouteille de plastique écrasée qu’il finit par embrocher !

Une pseudo-équipe de télévision avec caméra en bois et micro en pot de yaourt interroge et filme les badauds. J’y ai droit aussi, on me demande si c’est la première fois que j’assiste au carnaval de Maio, et si ça me plait…

Arrivent des vélos bricolés, on leur a greffé des réservoirs de motos, et de hauts guidons style « Harley »… Puis des hommes déguisés en poissonnières, ils portent des blouses et des fichus, et sur la tête des plateaux de morue séchée, au bras des balances romaines…

A la fin du défilé, le jury convoque les reines pour un concours de samba sur la terrasse. Ce ne sont pas des professionnelles, elles dansent moins bien que les amatrices françaises que je connais.

Le jury rend son verdict : le vainqueur est le char « Dunas ». Sous les acclamations s’agitent les pancartes « Nâo destruam a nossa duna » et « Dunas beleza di natureza ». On croirait que c’était arrangé d’avance, mais peu importe, tout le monde est content.

Peu à peu, la foule se disperse, le soleil descend sur Sâotiago, et à travers les nuages, ses rayons découpent les reliefs de l’île en une multitude de plans successifs. C’est très beau.

lundi 16 novembre 2009

La longue marche de Maio


Ce matin, je dois partir vers l’est, mais la cuisinière est en retard, et comme je ne veux pas partir le ventre vide, je serai moi aussi en retard. Je ne quitte l’hôtel que vers 8 heures 30. Je prends une large avenue qui va vers l’intérieur de l’île en traversant des quartiers récents. Je passe aux bureaux de la TACV pour confirmer mon retour à Praia le 6 mars.

Je longe ensuite le lycée, une station-service, divers services publics et entreprises. Même sans les lotissements touristiques, Vila s’étend considérablement, comme toutes les petites et grandes villes d’Afrique, du simple fait de la démographie.

Enfin en rase campagne, je presse le pas. Il fait encore assez frais, mais j’ai prévu un grand périple aujourd’hui, et le retour dans l’après-midi risque d’être éprouvant. Je me retrouve au coude à coude avec un gamin d’une douzaine d’années qui n’admet pas que je le double en marchant. Chaque fois il accélère pour revenir devant moi. Ce petit jeu m’amuse et je relève le défi. Nous marchons sur le bord de la route pavée dans une partie légèrement vallonnée, et je finis par le laisser assez loin derrière moi, mais il se fait prendre en stop.

Au bout de deux ou trois kilomètres, je suis vraiment à l’intérieur de Maio, dans une zone plate, où ne poussent que de rares acacias. D’ici, la mer est invisible. C’est une étendue caillouteuse, aride, rouge foncé, encore une fois un paysage martien. Au loin, une ou deux collines, dont le Monte Penoso, principal sommet de l’île avec ses 436 mètres, sont les seuls points remarquables. J’ai une impression d’immensité : qui aurait imaginé qu’un désert aussi grand se cachait dans une île aussi petite !


Je résiste à la tentation de faire du stop. Je voudrais faire tout mon parcours à pied. Je laisse à ma droite la bifurcation vers le hameau de Barreiro que j’aperçois là-bas, dominant la côte sud.

Figueira da Horta est le premier village où j’arrive, à sept kilomètres de Vila do Maio. Il est situé dans une ribeira, et fait figure d’oasis, avec ses grands acacias et ses quelques palmiers. Une des petites maisons basses abrite une épicerie-bar où je me repose, le temps d’une boisson.

Il faut ensuite remonter : la route franchit des collines sur les quelles souffle le vent de l’océan. Je traverse des terrains qui semblent fraîchement reboisés de jeunes arbustes. Je marche avec un grand plaisir. Dans cette partie de l’île, il n’y a pas de basaltes, les calcaires dominent, les terrains sont de couleur plus claire, comme en témoigne le nom de la colline la plus proche, Monte Branco, le mont blanc. Mais les latérites rouges sont encore bien présentes. Dans les pavés de la route, je remarque souvent des fossiles qui pourraient bien être des rostres de bélemnites, cousins des calmars de l’ère secondaire.
A Ribeira Dom Joâo, petit village rue, je revois la mer. Le village est perché au bord d’une ribeira pleine de palmiers, qui s’élargit en débouchant sur la plage. J’ai fait près de treize kilomètres d’un bon pas. Il m’en reste à peu près autant pour boucler ma boucle, mais le retour se fera en suivant le rivage.

Plages blanches au pied de rochers noirs, et eaux turquoises. Je suis récompensé d’avoir bien marché. Il est presque midi. Je me tartine de crème solaire et je repars.


De plage en crique, de calcaire en basalte, je ramasse des coquillages, j’observe les oiseaux. Je suis parfaitement seul. L’arrière pays est désertique sur plusieurs kilomètres. De petites avancées rocheuses coupent les plages. Je passe tantôt à leur pied, entre les rochers et les flaques laissées par la mer, tantôt par-dessus. Il faut dans ce cas, escalader quelques mètres d’éboulis pour accéder au petit plateau caillouteux et raviné, où la chaleur se fait très vite sentir, à peine s’éloigne-t-on de l’eau. L’air vibre de chaleur au ras du sol noir.

Des strates de basalte basculées à la verticale prennent de faux airs de murs en ruine filant des falaises à la mer. Je crois reconnaître des ophiolites, mais une expertise sera nécessaire.

En début d’après midi j’arrive sur une plage très large, très blanche. L’eau est d’un bleu intense, mais la barre est forte, je ne veux pas me baigner seul. Le vent souffle de terre, et le soleil commence à taper dur. J’avais prévu une halte pour faire une sieste à l’ombre, mais il n’y a d’ombre nulle part.

Je dépasse le hameau de pêcheurs de Lagoa, où les gens sont en train de remonter leurs barques sur la plage. Des familles entières sont là, on me salue aimablement, enfants et chiens sont plus curieux, mais je passe mon chemin.

Je coupe à travers les sansouires, où subsistent quelques mares salées, entre des étendues où le sol est craquelé et couvert de sel. J’enjambe les touffes d’une plante halophile aux feuilles grasses vertes et rouges. Les champs qu’elle recouvre ont un bel aspect, à cause du contraste entre ces deux couleurs.

Ne suivant pas l’arrondi de la côte, je raccourcis un peu mon chemin, mais je me prive de la relative fraîcheur du bord de l’eau. J’arrive à un bosquet d’acacias et de tamaris à l’ombre des quels je me réfugie une petite heure. Je m’assieds sur un tronc couché. Quelques chèvres, pintades et pique-bœufs, sont aussi cachés là, mais je suis accepté sans histoires, jusqu’au moment où je sors mon harmonica. Dès les premières notes, un concert de bêlements m’enjoint clairement d’arrêter la musique. Je suis vexé.

Je m’ennuie devant ce public qui ne me mérite pas, et malgré la chaleur, je décide de reprendre mon chemin. Je vais de bosquet en bosquet, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Je traverse à nouveau un petit plateau caillouteux qui est une fournaise. Quelques murets de pierres sèches délimitent des enclos vides, et donnent un peu d’ombre aux chèvres. Pour éviter deux bovins dont j’ignore le sexe, je redescends vers la sansouire et la plage. Il y a de nombreux terriers entre les salicornes, sans doute ceux de gros crabes qui se cachent du soleil.
Un cargo passe tout près de la côte. Sa faible vitesse et sa route me font penser qu’il va à Vila.


Je suis ébloui par la palette de couleurs du paysage, le blanc du sable, bleu-vert de la mer, bleu du ciel, vert et rouge des feuillages au ras du sol, ocres et roses de la petite falaise sous laquelle je vais enfin trouver une ombre digne de ma sieste. Mieux encore que l’ombre, un peu de fraîcheur et de sable doux pour m’allonger sous un surplomb rocheux.


Je ne suis pas le premier à me réfugier là. Les restes d’un feu, des gobelets et bouteilles vides en plastique relativisent ma robinsonnade. Je ne dois pas être bien loin de Vila, j’ai donc tout mon temps. Je m’offre le luxe de deux heures de sieste et de méditation sur mon avenir.

Quelques minutes après avoir repris mon chemin, j’arrive à Ponta Preta, où j’étais venu le premier soir, j’y trouve une famille de touristes européens sur la plage, peut-être les occupants de la villa voisine. Je reprends le sentier déjà connu pour rentrer en ville. Le petit cargo est bien là, amarré au wharf, j’avais vu juste.

Je rentre à l’hôtel. Je ne suis pas mécontent, j’ai fait vingt-cinq bons kilomètres dans la journée, avec un litre d’eau et un petit pain. Bientôt prêt pour les commandos !

jeudi 5 novembre 2009

AYANT QUITTE L'ILE DE FOGO, JE PASSE 36 HEURES A PRAIA BLOQUE PAR UNE PANNE D'AVION, AVANT DE M'ENVOLER ENFIN POUR LA PETITE ILE DE MAIO.

Notre avion vient enfin stationner devant nous. Il appartient à une compagnie privée, « Cabo Verde Express ». C’est un petit bi-turbine, avec des hélices à cinq pales, un engin de vingt places de fabrication tchèque, un LET 410, deux fois moins gros que l’ATR 42 de la TACV. Notre groupe suffit à le remplir. Le poste de pilotage n’est séparé de la cabine que par une demi-cloison, et on peut voir tout ce qui se passe à l’avant.




Le vol ne dure guère plus d’un quart d’heure, et la visibilité est excellente. Juste après le décollage, ce sont les criques de la côte sud-est, et les montagnes de l’intérieur de Saotiago. A l’atterrissage, on survole de très bas une immense plage blanche coupée par un long wharf sur pilotis en béton, une mer d’un bleu-vert intense…


Et déjà on applaudit le pilote !



Maio est une île minuscule de vingt kilomètres de long sur l’axe nord-sud, et une dizaine en est-ouest, un peu plus large dans sa partie sud, ce qui lui donne un peu la forme d’un oeuf. Elle est basse et tabulaire, avec quelques collines dans le nord-est. Son relief est trop bas pour accrocher les nuages, il n’y a donc pas de zone humide, comme celle de Fogo. Elle est extrêmement aride. Mais elle dispose de nappes d’eau souterraine, ce qui est rare dans l’archipel, car elle n’est pas entièrement volcanique, on y trouve aussi des calcaires marins.

L’aérogare est encore plus petite que celle de Fogo. Il n’y a qu’un ou deux vols par jour. La récupération des bagages se fait par-dessus un petit mur. Il faut ensuite trouver un aluguer, partagé avec d’autres personnes, qui nous conduit à la capitale de l’île, Vila do Maio, à un kilomètre. Nous entrons dans le village par le nord et je remarque des lotissements, des villas ou de petits immeubles pimpants, qui évoquent tristement un littoral touristique espagnol, ou canarien.

Vila do Maio, appelée souvent Vila, s’étend le long d’une avenue pavée, en front de mer, dominant la grande plage aperçue de l’avion. A l’horizon, la masse de la grande île de Saotiago est très visible. Les maisons et petits immeubles s’étagent en deuxième et troisième ligne au long de rues parallèles au front de mer. Les rues transversales sont en pente assez forte.

L’hôtel Bom Sossego est situé sur une grande place rectangulaire arborée, en deuxième ligne. A partir de la place, un large escalier conduit au niveau supérieur de la ville où s’élève une église assez jolie de style très portugais. Je jette un coup d’œil à l’intérieur ou se tient un baptême. Après avoir pris une chambre et déposé mon sac, je vais faire un tour à pied. Je crois rêver, tant cette île est belle et paisible. Redescendu sur l’avenue du front de mer, je regarde la houle déferler sur la plage à trois mètres en contrebas, les petites barques multicolores remontées et retournées sur le sable… Et ce village m’enchante bien qu’il n’ait rien de spectaculaire…


L’homme de Sal, qui venait à Maio pour son travail, loge aussi au Bom Sossego. Nous mangeons à deux tables voisines et faisons mieux connaissance. Il s’appelle Ismaël, il est pompier à l’aéroport de Sal, le plus important du pays, et vient ici pour former ses collègues à l’utilisation de nouveaux équipements. Ce métier explique son multilinguisme. L’anglais est la langue de l’aéronautique. Il parle aussi afrikaans, car à l’époque socialiste, le Cap Vert révolutionnaire était le seul pays accordant un droit d’escale aux avions de l’Afrique du sud , pays du racisme officiel et de l’apartheid. Le gouvernement de l’époque avait trop besoin de devises pour ne pas faire d’entorse à ses principes, en un temps où toute l’Afrique faisait bloc contre l’apartheid. Ismaël a donc été formé en Afrique du sud. Il a vécu un temps aux Pays-Bas, et parle aussi un peu le néerlandais. Il parle français pour je ne sais plus quelle raison. A quoi s’ajoutent évidemment le portugais et le créole. On voit plus de polyglottes dans ce pays prétendument arriéré que dans la patrie de Jules Ferry !

On parle aussi de musique, et il me raconte qu’Ildo Lobo était originaire de Sal. Il était plus populaire dans son pays que la célèbre Cesaria Evora, et sa mort en octobre 2004, à seulement 51 ans, a été un drame national.



Ma sieste est interrompue par une rumeur, de la musique, des chants… Je sors, et guidé par le son, je descends vers le front de mer où je découvre un grand cortège d’enfants. C’est le carnaval des écoles de Maio. Les classes sont déguisées en différentes couleurs, et deux ou trois camionnettes sont intercalées dans le cortège, transportant les hauts parleurs, et quelques enfants. Le thème du carnaval est la défense de la nature, dont je vais découvrir ici que c’est un leitmotiv lié aux projets de développement du tourisme « vert ». C’est une idéologie qu’il faut inculquer à la population en même temps que l’on crée des lotissements.



Toute une classe de petits déguisés en coccinelles à casquettes blanches défilent sur le front de mer, il y a aussi des plus grandes, en collant vert ou bleu, qui dansent la samba… Des banderoles proclament « Viva a defesa da natureza » , « Vamos proteger o ambiente » , comme il y a quelques années ils auraient défendu le socialisme et la révolution… Il faut espérer que bientôt ces enfants comprendront que la défense de leur île vaut pour elle-même et non pour le développement touristique.



Le parcours du défilé nous conduit plus haut dans la petite ville, vers les quartiers récents, plus loin de la mer… L’atmosphère est joyeuse, les enfants rient, courent et chantent. A l’arrière d’une camionnette, ils brandissent encore une grande feuille de papier sur laquelle ils ont dessiné une tortue marine et tracé cet appel : « Protege esta espécie ». Nous passons devant une école. Sur le mur extérieur, une fresque naïve représente des enfants plantant des arbres et les arrosant, avec cette phrase : « Plante uma arvore, e cuide dela ». Le message va passer ! Et ce n’est pas superflu…



Quittant le carnaval, je sors de Vila par le sud. Je suis toujours sur le petit plateau où est bâtie la ville, mais de ce côté, il a les pieds dans la mer, il n’y a pas de plage. Je traverse des terrains vagues en suivant un sentier. On dirait qu’ici la construction d’un certain nombre de maisons a commencée, les fondations ont été coulées, et le bas des murs aussi, mais les chantiers semblent interrompus.

Sous un des rares arbres du coin, un homme est assis en tailleur et casse de cailloux pour en faire ces petits pavés qu’on voit partout sur les routes. J’ai lu quelque part que l’entretien des routes demande sans cesse de ces pavés, et que c’est le travail que l’administration coloniale exigeait en échange d’une aide alimentaire dans les années de famine. Je le salue, il fait un sourire, lève le pouce et me lance « fish ! ». Cela fait déjà quelques fois qu’on m’adresse ce mot, qui semble vouloir dire « super », « ça va », mais je n’en comprends pas l’origine.

Je ne longe pas la falaise, je coupe par l’intérieur, mais j’arrive au bord d’un petit ravin, une de ces ribeiras qui découpent les îles, et au fond des quelles on ne trouve pas de rivière, mais parfois un mince ruisseau temporaire, et une végétation plus verte que les épineux des plateaux. De l’autre côté se trouve une belle villa isolée, devant laquelle est garé un petit 4x4 d’un modèle plutôt chic. De loin, j’ai l’impression que les occupants sont des européens.

Je suis le bord du ravin vers la mer, jusqu’à un point où je peux y descendre. Il y a là une mare d’arrière plage, qui doit peut-être déborder dans l’océan en saison des pluies, comme les graus de chez moi, sur le golfe du lion. Je débouche sur une très belle plage qui semble s’étendre très loin vers l’est, suivant l’arrondi du sud de l’île.

Je suis à Ponta Preta, la pointe noire. Comme le soleil commence à descendre, je n’irai pas plus loin. Je décide de rentrer par un chemin différent, en suivant le bord des falaises. Je commence à chercher un passage entre les blocs de basalte, pour me hisser à nouveau sur le plateau. Je découvre des endroits où j’aimerais revenir pour me baigner, mais la houle bat les rochers, bien trop fort en ce moment. Nous sommes bien en hiver.

Bientôt, je repasse par le quartier des villas inachevées… Des chèvres, des cochons qui errent dans des terrains vagues encombrés de détritus…

J’ai encore fait l’impasse sur le repas du soir. Alors que je pensais me coucher, la ville est soudain plongée dans l’obscurité. Automatiquement, le groupe électrogène de l’hôtel se met en marche. Il semble que ce soit assez habituel.

Je redescends en ville. L’obscurité est totale, sauf à proximité des rares immeubles équipés de groupes. Des familles se promènent paisiblement sur le front de mer, et se saluent dans le noir. A l’horizon, on ne voit plus les montagnes de Saotiago, mais on devine les lumières de Praia, bien que la capitale soit du côté opposé de la grande île.

mardi 3 novembre 2009

A travers Fogo en auto-stop

De Mosteiros à Sâo Filipe.

Je me suis levé tôt, mais pas assez. Les aluguers pour Sâo Filipe partaient à six heures. J’espère en trouver un attardé quelque part, et je n’ai aucune envie de me presser.

Après le petit-déjeuner et un tour par la poste, je prends la route, toujours sac au dos. C’est long Mosteiros. La route longe la mer à une certaine distance, et je traverse des quartiers modernes sans aucun charme, je passe devant des ateliers, chantiers, fabricants de meubles, garagistes… Cette ville fut la capitale de Fogo, avant Sâo Filipe, il y avait un petit aérodrome, qui est désaffecté.

Puis, entre la route et la mer, il y a des champs, des terrains vagues, une étroite plaine côtière sur ma droite, tandis qu’à gauche le terrain s’élève très vite, c’est pied du volcan. La végétation, de ce côté, est déjà clairsemée, par rapport à ce que j’ai traversé dans ma descente.

Après avoir un peu erré, je trouve la bifurcation vers Sâo Filipe. Je passe devant ce qui est certainement la maison d’un capverdien américain. Une belle villa de plain-pied, au jardin bien entretenu, avec un gros 4x4 garé devant la porte, et la bannière étoilée qui flotte en haut d’un mât !

La route monte raide, le soleil aussi, Sâo Filipe est encore loin. Si je reste à pied, je n’y serai pas ce soir, mais il y a d’autres villages à traverser, j’aviserai. Je marche à flanc de montagne, à droite c’est le ravin, et la route est très fréquemment encombrée d’éboulis récents, ce qui n’est pas rassurant, car pour échapper à une nouvelle chute de pierres, il faudrait sauter dans le vide !

Inutile de faire du stop, il ne passe personne. J’arrive à un col où des paysans remplissent de gros bidons de plastique jaune à une fontaine, puis les chargent au dos de leurs ânes.

Enfin, un véhicule approche, et je tends le pouce. C’est un pick-up japonais de couleur rouge, conduit par un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui me fait monter à côté de lui. Très ouvert, très bavard, il me parle en anglais. Il est déjà allé aux Etats-Unis, et voudrait y retourner. Sa conduite sportive m’inquiète un peu.

Comme je lui dis que je suis français, il m’explique que lui aussi est d’origine française : c’est un Montrond par sa mère, et il n’en est pas peu fier. Il est vrai que nous sommes ici en plein dans la région où vécut l’ancêtre de tous les Montrond.

Il s’arrête au village d’Atalaïa pour embarquer sa mère et sa sœur. Leur maison est petite, mais jolie, avec des bougainvillées devant la façade. J’attends dehors.

La vieille dame arrive. Elle est très claire de peau, et me confirme qu’elle est une Montrond. Je cède ma place à l’avant et je vais sur le plateau arrière avec mon sac. Ça va faire peur !

Le reste du trajet est à sensations fortes ! Je me cramponne comme je peux, et j’essaye de ne pas trop regarder le précipice. Même dans la traversée des villages, il ne lève guère le pied. Il s’arrête tout de même pour prendre une jeune fille qui fait aussi du stop. Elle va vomir presque tout le trajet, sur mon sac et sur moi.

Nous devons passer non loin d’un village de pêcheurs nommé Sâo Jorge, réputé pour sa petite plage et des grottes marines. J’espère m’en servir de prétexte pour débarquer si notre chauffeur me fait vraiment trop peur.

Par chance, le paysage s’aplanit, la route se fait moins vertigineuse, et le littoral s’éloigne de nous, à mesure qu’on approche de Sâo Filipe, dans un paysage de plus en plus sahélien, où les acacias reviennent en force.

En pleine brousse, à quelques kilomètres de la ville, nous passons encore devant la villa d’un émigré, maison à étage peinte en rose vif, entourée d’un mur de clôture : sur chaque pilier, un lion en plâtre laqué rouge et or !

Arrivé à Sâo Filipe en fin de matinée, dans une petite rue où se gare la voiture, j’essaye de traduire à mon chauffeur et à sa mère le texte de mon guide consacré à Armand Montrond. Dans leurs commentaires, je crois reconnaître plusieurs fois l’expression « irmâos de França », « frères de France ». Ai-je bien compris, serait-ce ainsi qu’ils s’appellent entre eux, les Montrond, ou est-ce mon imagination ?

Je finis mon trajet à pied jusqu’à la pension Fatima, où je reprends la même chambre que l’autre jour. Je dépose mes affaires et je ressors aussitôt pour me rendre aux bureaux de la TACV. Je veux réserver mes vols pour Praia, et pour Maio.

En ville, je croise des mormons ! Il ne manquait plus qu’eux !

La mer est belle sous le vent de Fogo, et plus houleuse au loin, vers Brava, mais il n’est plus temps de tergiverser, ma décision est prise, je n’y irai pas cette fois.

mercredi 28 octobre 2009

La descente du volcan

Après réflexion, j’ai décidé de redescendre aujourd’hui. J’ai renoncé à l’ascension de la muraille, qui suppose un bivouac dans une grotte à plus de deux mille mètres d’altitude. Je ne suis pas équipé, et les guides eux-mêmes présentent cette course comme bien plus difficile que celle d’hier.

Après les onze cent mètres de l’ascension du Pico, je décide de m’attaquer à la descente de plus de mille six cents mètres entre Bangaeira et Mosteiros, sur la côte nord. Zé m’a dit que cela prendrait trois à quatre heures, voire cinq. Cette fois je n’aurai pas de guide.
(...)

Je quitte l’auberge plus tard que prévu, et je m’arrête encore à la coopérative vinicole, dont le directeur me fait goûter un blanc et un rouge. Contrairement à mes goûts habituels, je préfère le blanc, léger et fruité. Je pose des questions sur la viticulture locale. Il y a vingt-huit coopérateurs sur cent trente hectares, me dit-il. Je me demande où se cache ce vignoble, car, en dehors de quelques pieds épars vus avant-hier, je n’ai pas remarqué grand chose. Il m’explique que la plupart des vignes sont plus à l’est, du côté ouvert de la caldeira. Ces vignes sont sans doute bien plus clairsemées que celles d’Europe.
( Les vignes de Châo das caldeiras )

Les vendanges ont lieu à la fin juin, la coopérative est moderne, reconstruite après la dernière éruption, équipée de matériel espagnol et italien, dans un petit bâtiment de moins de deux cents mètres carrés. Sous une paillote voisine, des enfants collent les étiquettes sur les bouteilles.

Je me dis déjà qu’il faudrait revenir aux vendanges, j’ai l’impression de partir trop vite, alors qu’il y a encore des choses à découvrir ici.

Je reprends mon chemin, je traverse le village entre les maisons basses, accompagné parfois d’enfants qui quémandent des bonbons. Je cherche un sentier qui doit me conduire au plus près de la muraille, pour la longer jusqu’à un petit col où je pourrai la franchir facilement et sortir de la caldeira.

Sorti du village grâce aux indications d’un enfant, je me trouve de plus en plus proche des énormes falaises qui sont sur ma gauche. A droite ce sont les extrémités des langues de lave qui forment des chaos de roches calcinées. Entre les deux, se faufile un sentier sablonneux et facile.

J’entre bientôt dans l’ombre de grands eucalyptus et mimosas qui embaument l’atmosphère. En cette fin de matinée, il fait une chaleur agréable, le chemin qui mène au bord du monde est paradisiaque.
Je croise des paysans avec leurs petits ânes chargés de fourrage, puis le couple de retraités français rencontrés hier, qui retournent vers l’auberge. Au sommet du petit col par lequel je sors du volcan, il y a une barrière en bois brut, et la maison d’un garde forestier. J’entre dans une forêt classée, il y a un péage de cent escudos, avec reçu. Le contraste est saisissant avec les paysages sahéliens du sud de l’île. C’est l’exposition aux vents de nord-est et l’altitude qui favorisent cette région.

A partir de là, le chemin est large et pavé. J’imagine naïvement qu’il en sera ainsi jusqu’en bas. La forêt est toujours superbe et parfumée, le soleil reste clément, et plus bas, la mer de nuages cache toujours l’océan.
( cette photo n'est pas de moi )

Evidemment, ce n’est pas une forêt primaire : eucalyptus, agaves et mimosas ont été introduits. La laurisilva macaronésienne, cette forêt préhistorique des îles de l’Atlantique nord, dont il reste, je crois, des reliques à Madère et aux Canaries, a-t-elle existé sur cette île ?

J’arrive à une bifurcation, annoncée par ma carte. A gauche, le sentier descend moins vite et part vers l’ouest. Il devrait conduire vers les versants les plus secs de l’île, contournant la caldeira par l’extérieur. Théoriquement, il serait possible de retourner à Sao Filipe par là, mais il paraît que le sentier est mal tracé, un guide serait nécessaire. Je suis parti tard, seul, et je n’ai pas envie de passer la nuit dans un ravin. Je m’en tiens donc à mon projet initial, je prends à droite. C’est la descente la plus courte vers la côte, à travers la forêt, jusqu’à Mosteiros, cette « petite ville assoupie » que j’ai envie de connaître.

A la sortie de la forêt classée de Fonte Velha : deux baraques et un gardien. Il contrôle mon ticket d’entrée. Le président de la république aurait une résidence secondaire ici. S’agit-il de ces modestes maisons ? La route pavée que je suivais depuis ma sortie du volcan s’arrête là. Je demande le chemin de Mosteiros. Le garde m’indique un passage qui se faufile derrière les baraques. Je crois à une plaisanterie, mais une pancarte en bois le confirme.

Je découvre un sentier où deux piétons ne pourraient se croiser, et qui doit se transformer en torrent à chaque averse. Il s’enfonce dans un sous-bois de plus en plus dense. Je dois me frayer un chemin dans les feuillages. Je suis arrivé dans la couche nuageuse qui s’accroche aux pentes et forme un brouillard assez épais entre les troncs. Je commence à m’interroger sur les éventuels serpents de Fogo, dont aucun de mes livres ne parlait. Outre la morsure d’un serpent, une simple entorse à la cheville me mettait dans une situation délicate, d’autant plus que l’après midi avance, et que je voudrais absolument être à Mosteiros avant la nuit.

Les pierres du sentier roulent sous mes pieds et je dois faire très attention. La pente est si raide qu’il me serait difficile de faire demi-tour. Je n’ai plus le choix, il faudra arriver en bas.

Peu à peu, les mimosas cèdent la place à des cyprès, mais les eucalyptus sont toujours là. Toujours dans la brume, je ne vois plus le haut, ni le bas. Je ne suis pas très fier de moi. Je passe des bifurcations sans aucune signalisation, rien qui ressemble au balisage des sentiers de randonnée en Europe. A chaque fois, je choisis la branche où le sentier me semble le plus large. J’ai peur de finir dans une impasse au sommet d’une falaise de plusieurs centaines de mètres au-dessus des vagues, et de devoir remonter. Un gros tuyau de plastique noir, sans doute une conduite d’eau, croise régulièrement mon chemin, ce qui me rassure.

Enfin, j’entends le ressac, mais je ne vois toujours pas la mer. Puis c’est un âne en train de braire, quelque part en contrebas, qui m’indique la proximité probable d’une habitation. La végétation a changé à mesure que je descendais, devenant de plus en plus tropicale. Je traverse des parcelles de caféiers, puis de citronniers, j’aperçois des cabanes cachées dans la végétation, puis des champs de bananiers, de papayers, et de petites maisons à flanc de ravin, inaccessibles d’où je suis…

Mosteiros apparaît à travers des lambeaux de nuages, bordée de barres rocheuses battues par la houle, je me crois presque arrivé, mais je déchanterai bientôt. Je croise enfin quelqu’un. De loin, je vois que c’est un randonneur, un européen, et qu’il monte ! Je m’apprête à le dissuader, convaincu qu’il n’arrivera pas au sommet avant la nuit.

Lorsque nous nous croisons, il se présente comme un américain, enseignant à Mosteiros. Il est jeune et sympathique. Je le soupçonne d’être un de ces missionnaires évangélistes ou baptistes, ou de je ne sais laquelle de ces églises qui font des ravages dans le tiers monde. Il m’explique qu’il monte par ce sentier chaque fin de semaine ! M’ayant demandé s’il pleuvait en haut, il m’annonce que je suis presque arrivé. Heureux de le croire, je continue…

Un paysan me rattrape, me salue, et me dépasse. Je ne le reverrai plus, tant il descend vite avec son fardeau. Puis c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui laisse une agréable odeur de savon dans son sillage. Grâce à sa chemise jaune vif, je le suis du regard. Il apparaît par moments, à plusieurs virages en contrebas. A-t-il rendez-vous avec une belle ?

La fatigue commence à me peser, et je suis de plus en plus prudent. J’ai encore trois bonnes semaines à passer au Cap Vert, et ce serait mieux sans plâtre.

J’arrive enfin aux premières maisons, mais je m’aperçois bientôt que ce n’est qu’un hameau au-dessus de Mosteiros. Il faut encore descendre. Cette descente m’a plus fatigué que l’ascension d’hier au Pico. Heureusement, je suis maintenant dans des ruelles. Les gens me saluent, des enfants m’escortent un moment, me demandent d’où je suis… Je leur réponds quelques mots de portugais basique. J’arrive à la route pavée. On me propose un taxi, mais je suis décidé à finir à pied.

Mosteiros m’apparaît comme un ensemble de hameaux et de villages étagés, et étirés le long de la côte. Le centre administratif et la pension « Cristina », indiquée par mon guide, sont à Igreja, au bord de la mer.

Deux gamins m’accompagnent un moment, jusqu’à être en vue de la pension, qu’ils me désignent, encore bien plus bas, reconnaissable à sa façade vert pistache. Ils veulent de l’argent. Comme ils m’ont réellement aidé, et qu’à présent, ils doivent remonter chez eux, je leur donne toutes les pièces que j’ai en poche.

Plus bas je croise quelques dizaines de collégiens et collégiennes en uniformes, à l’anglo-saxonne, avec des jupes écossaises, des pantalons foncés, des chemises blanches. Je suis exténué, ça doit se voir. J’essuie quelques lazzi, des filles me demandent en mariage, et sans répondre je me traîne sur le dernier kilomètre, du plat et pavé jusqu’au centre d’Igreja.