mardi 27 octobre 2009

L'ascension du Pico do Fogo, un vieux rêve réalisé !



Vénus est du matin, très belle, elle s’élève de l’autre côté du ciel, au-dessus du Pico, silhouette sombre derrière laquelle le soleil est encore caché. Le ciel est d’un bleu intense qui contraste avec le rose vif des nuages.

Zé arrive, et je n’ai pas déjeuné. En habitué de la maison, il me montre que tout est prêt pour moi, sous une nappe, dans un coin du restaurant. Je me dépêche.

Zé me conduit par un chemin très différent de mon parcours de la veille. Il faut traverser une partie du village, partir ensuite vers l’est, comme si on cherchait à rejoindre la partie de la caldeira qui est ouverte et dévale sur l’océan. J’irais bien y faire un tour, mais bientôt on tourne encore à droite pour aborder le Pico par sa face nord.

Je me sens en forme malgré la bronchite apportée de France, et le manque d’entraînement. Je sais que j’ai une vie trop sédentaire, mais j’espère arriver au sommet.

Bientôt, en se retournant, on découvre des vues splendides sur le nord de la caldeira, et son versant est, assailli par les nuages. On aperçoit à peine la mer par quelques trous dans les nuages. Coton à l’infini… Si la Terre était plate, ce serait là le bord du monde !



Le fond de cet immense cratère dévoile sa géographie quand on prend de la hauteur. De nombreux petits cônes secondaires, avec leurs coulées respectives, comme celles qui ont en partie envahi le village. Chacune a un âge et une couleur distincte, dans les nuances d’ocre, de noir qui dominent ici…
(cette photo n'est pas de moi)

Plus on monte, plus c’est raide. Nous faisons peu de pauses, je préfère avancer en gardant les yeux fixés sur les talons de Zé. Dans les passages difficiles, il prend mon petit sac et me tire par la main.

Il ne fait pas chaud, même quand le soleil nous éclaire enfin, car le fort vent de nord-est nous harcèle. Nous sommes bien en févier.
Un regard en arrière de temps en temps, pour le paysage, c’est vertigineux… Puis je reprends, un pas après l’autre, sans penser à rien, en tournant et retournant dans ma tête de petites phrases absurdes en occitan, en espagnol, en portugais…

La pente est si raide que je touche le sol en tendant un peu les bras devant moi. Heureusement, il y a de gros blocs aux quels s’accrocher. Par instants, au soleil et à l’abri du vent, il fait bon…

Je passe par des moments de doute, mais, à part les yeux fouettés par le vent, je n’ai mal nulle part, et un regard vers le haut m’incite à continuer. Zé s’arrête, et me dit qu’il y est. Quelques pas plus tard, je le rejoins sur le bord du cratère.



D’en bas, je n’imaginais pas que le sommet du Pico soit de taille à contenir ce gouffre d’environ cinq cents mètres de diamètre et cent cinquante de profondeur. Quelques grosses fumerolles crachent le long des parois marquées de dépôts de souffre. Dans le fond, de nombreuses personnes ont écrit leurs noms en alignant des pierres de couleur claire. Je n’y irai pas, car après, il faudrait remonter…

Zé a trouvé un coin pour faire la sieste. Je reste assis à me remplir les yeux de ces paysages. C’est un moment dont je rêvais depuis un quart de siècle.

Zé me raconte qu’à sa première ascension, il avait 9 ans. Les guides montent ici en une heure quand ils sont seuls, en trois à quatre heures avec les groupes de touristes. Il me dit que nous avons mis un peu moins de trois heures, ce qui réjouit mon ego.

Après cette pause et quelques photos, il me conduit vers le début de l’itinéraire de descente. Il faut couper par le haut du cratère, par des chemins de chèvres où un faux-pas m’enverrait bien bas… Enfin, on remonte sur la lèvre du côté ouest, au-dessus du « Pico pequenho », celui qui est né lors de la dernière éruption en 95. D’ici, on ne voit plus le côté ouvert de la caldeira. La muraille, à peine moins haute que nous, barre tout le champ de vision. J’ai rarement vu un panorama aussi saisissant. Par une échancrure de la crête, on aperçoit l’océan et l’île de Brava ! A nos pieds, toujours les champs de lave et de souffre, vers lesquels il faut descendre.

Le début est assez difficile, dans un mélange de pouzzolane et de blocs qui ont tendance à glisser, rouler, dévaler… Tant bien que mal, j’arrive à la pouzzolane pure, et je rejoins Zé, qui me laisse prendre de l’avance.

J’hésite d’abord à descendre droit dans la pente, puis je me laisse tenter. Les sensations sont celles du ski ! Je n’ai jamais été un bon skieur, mais quelques réflexes reviennent. Nous skions en chaussures, dans une roche noire pulvérulente. Par endroits elle est fine et tassée, ce qui vaut bien une plaque de verglas. Il faut donc déclencher son virage à temps pour rester dans la poudreuse et éviter la chute. J’entraîne dans ma glissade une masse importante de cette roche, et je me dis que si le nombre de touristes augmente au Pico, chacun faisant comme moi, l’érosion du sommet sera terrible !
(cette photo n'est pas de moi)


Je ne veux pas descendre trop vite, pour éviter un accident, et surtout pour profiter de ce paysage sublime et de la vue sur Brava. A mi-pente, Zé me rattrape, me dépasse et me met au moins cinq cents mètres dans la vue. Il faut bien le rejoindre, à regret, car Brava disparaît inexorablement derrière les crêtes de la muraille.

A l’arrivée en bas, les odeurs de souffre sont fortes. Zé me conduit près des fumerolles. On récolte de la fleur de souffre sur la face inférieure des cailloux qu’on retourne. Je fais aussi l’expérience de mettre le feu à un mouchoir en papier, alors qu’aucune flamme n’est visible, simplement par la température du gaz qui sort d’un trou… Au moins 451 Fahrenheit, me rappelle Ray Bradbury. C’est l’occasion de rencontrer un couple de retraités français et leur guide. Ils viennent juste d’arriver, il travaillait au service communication du BRGM. Ils n’ont pas l’intention d’aller au sommet. Le soleil est presque au zénith, il commence à faire vraiment chaud.

Nous quittons les cratères de 95 et nous dirigeons vers l’auberge en passant par les endroits où je m’étais promené hier. Zé n’est pas très bavard, mais il me raconte que lors de la dernière éruption, il avait 12 ans. Le village a été brièvement évacué, puis les gens sont revenus. Au passage, il me montre des pieds de manioc, récemment morts de froid !