lundi 30 novembre 2009

Où je perds le nord.


En pantalon et longues manches pour éviter de recuire les brûlures reçues, malgré la crème solaire, lors de ma longue marche sur les plages du sud, et portant mes bonnes chaussures de randonnée, je reprends la route de Morro, avec l’intention d’atteindre cette fois l’extrémité nord de l’île.

L’auto-stop est plus efficace qu’hier. La première voiture qui s’arrête va loin. Je m’installe à l’arrière, sur la plate-forme, et je me cramponne. Le chauffeur va vite, nous traversons bientôt Morro sans nous arrêter, pour continuer à travers ce qui est marqué sur certaines cartes comme une zone de reboisement. En fait de reboisement, je ne remarque qu’une plus haute densité d’acacias…

La route longe la côte ouest à un kilomètre de distance en moyenne, et à main droite on aperçoit quelques collines rouges et pelées, dont la plus haute ferait presque trois cents mètres de haut, et s’appelle Monte Batalha. Je me demande à quel épisode historique se rapporte ce nom. Qui est allé se battre là-bas, et pourquoi ? Encore une histoire de corsaires ?

Nous traversons Calheta, qui est un village de pêcheurs où je reviendrais bien faire un tour. Moins de cinq kilomètres plus loin, c’est Morrinho, à quinze petits kilomètres au nord de Vila do Maio. Ici, la route principale, la seule qui soit pavée, tourne à droite pour desservir les villages de l’intérieur, dont le principal est Cascabulho. Je me fais déposer au centre de Morrinho, car je voudrais voir les grandes salines qui, selon ma carte, se trouvent à proximité.

Le village et légèrement plus haut que les environs, et en scrutant les alentours, je ne distingue aucune saline. Elles devraient être au nord. Je tourne donc le dos à la route par laquelle je suis arrivé, et je me lance.

A proximité du village, dont je sors, le sol, dénué de végétation, est jonché de détritus de toutes sortes, principalement de sachets, de petits objets et de débris de plastique et de métal. Les industries de Chine et des pays du nord déversent par cargos entiers leurs pacotilles sur des territoires où les services de collecte et de recyclage des ordures sont défaillants ou inexistants, et les pays du sud deviennent des dépotoirs… Quand ce n’est pas le vent qui pousse vers les îles toutes les saletés dérivant sur l’océan.

Autour du tronc des acacias, il y a souvent un muret de pierres sèches qui forme un enclos circulaire de quelques mètres de diamètre, où sont enfermées des chèvres, ou des gorets. La brousse où je m’avance est aménagée par l’homme. Il y a partout de ces murets, ou des clôtures de branches épineuses, qui délimitent des champs, parfois simplement des filets tendus entre les arbustes. Partout, des traces de passage dans la poussière, qui font une multitude de sentiers.

Je trouve un long passage ombragé par des arbres un peu plus hauts que la moyenne, le long d’une clôture. J’y croise un jeune garçon sur son âne, et j’aperçois une femme avec un fagot sur la tête. Encore une fois je me sens replongé dans le sahel de mon enfance, à la différence qu’ici les quelques bovins qui errent ne sont pas les zébus à bosse que j’ai connus.

J’erre moi aussi dans ce paysage où rien n’indique la proximité de salines, alors que le soleil montant commence à taper. Où est la mer ? Je devine de hautes dunes au-delà d’une forêt d’épineux, mais elles me semblent bien plus éloignées que celles que je voyais du village. Village que j’ai perdu de vue, d’ailleurs…

J’ai pris soin de repérer quelques détails, et quelques tournants du sentier pour faciliter mon retour. J’en ai assez de chercher. Quelque chose ne colle pas entre ma carte, le paysage, et mon orientation. C’est vexant, mais je rebrousse chemin, je retourne à Morrinho.

Il est supposé y avoir un village de pêcheurs nommé Porto Cais à trois kilomètres à l’ouest de Morrinho. Lorsque, enfin je croise quelqu’un, on m’indique la direction d’où je viens. Je suppose que, croyant marcher vers le nord, j’ai peu à peu dévié vers l’ouest, je fuyais peut-être le soleil sans en avoir conscience… Et j’ai dû prendre une direction qui me conduisait quelque part dans la brousse, entre Porto Cais et les salines…

Etant revenu tout près de Morrinho, je décide de me diriger vers les dunes les plus proches. Je travers d’abord des terres salées, en évitant les quelques bovins qui y cherchent pitance. Le vent lève des tourbillons de poussière rouge sur les champs de salicornes.

J’arrive enfin au sable. C’est un grand massif de dunes, j’entends bien la mer, mais il y a plusieurs lignes de crêtes à franchir avant de l’apercevoir. Je prends pour repère le seul groupe de palmiers des environs. Il pousse aussi des tamaris, les troupeaux de chèvres et de vaches trouvent peut-être plus de verdure ici que dans l’intérieur. Lorsque je découvre la plage, je m’aperçois qu’elle est très étroite. La marée doit être au plus haut, car les rouleaux brisent presque au pied des dunes.

De retour à Morrinho, je m’en remets au hasard de l’auto-stop pour décider si je retourne à Vila, ou si je continue vers Cascabulho. Le soleil est au plus haut, le village est assoupi, et aucun véhicule ne se présente.

Le centre du village s’organise autour d’un petit rond-point, à l’endroit où la route tourne vers l’est. Tout est là, dans un rayon de cinquante mètres : école, église, coopérative, épicerie-bar… Je m’achète une bouteille de soda à l’orange, et je cherche un peu d’ombre pour la boire.

J’ai de la chance. A midi et demie, les enfants sortent de classe, et un aluguer arrive. C’est lui qui fait le transport scolaire. Il doit aller à Cascabulho, puis rentrer à Vila. C’est parfait pour moi. Le chauffeur me fait monter à l’avant, et les enfants sur la plate-forme arrière. A la radio, j’entends encore Lura, la jeune chanteuse capverdienne du Portugal qui connaît la gloire depuis qu’elle est revenue au répertoire de son pays d’origine. Elle avait commencé dans un registre plus commercial comme choriste d’un chanteur de zouk-love de Sâo Tomé, nommé Juka, dont la chanson « Amiga » est aussi un tube omniprésent en ce moment au Cap Vert. Bénie par Cesaria Evora, avec qui elle s’est produite en tournée, Lura devient la nouvelle icône du Cap-Vert. Son succès du moment, aux accents nostalgiques, prend toute sa saveur dans ce petit village perdu de Maio : « Ô Na ri na, ôô na ri na … »

Cascabulho est un village rue, avec une quinzaine de maisons basses de chaque côté. C’est aussi le bout de la route pavée. Au-delà, une piste poussiéreuse conduit vers les hameaux de la côte est. De là, le Monte Penoso semble assez proche, mais pas très engageant. Nous sommes encore à plus de cinq kilomètres de l’extrémité nord de l’île, je n’ai toujours rien vu qui ressemble à des salines, et j’ai encore un peu de mal à m’orienter. Il est temps de rentrer.

J’ai fait un rapide tour du village avant de revenir à la camionnette, et j’attends. Je ne sais pas exactement quoi. Les enfants sont allés chercher des chèvres que le chauffeur doit livrer quelque part. Pattes ligotées, on les balance à l’arrière…

Le retour à Vila est rapide. En traversant la « forêt » près de Calheta, j’aperçois les foyers fumants des charbonniers qui produisent du charbon de bois pour les fourneaux et braseros de l’île.

jeudi 26 novembre 2009

Mercredi des cendres


A Maio, le mercredi des cendres, on mange maigre, ce qui ne veut pas dire que l’on mange peu ou mal. Je ne m’attendais pas à un tel festin ! Poisson en sauce avec patates douces, manioc, semoule et fèves. J’en viens à bout et je commande un café avant une sieste digestive, mais il y a encore un dessert : le gâteau au « cuzcuz » de maïs, très dense, avec sa sauce au caramel et au rhum ! Après quoi, je me traîne jusqu’à mon lit où je reste jusque vers dix-sept heures.

Je n’ai pas renoncé à mon excursion vers le nord, et je sors du village à pied, par la route qui mène à l’aéroport. Je longe des lotissements récents. Une dizaine de villas blanches toutes semblables, flanquées d’une tour ronde, avec des toits de tuiles. Exactement ce qu’on peut voir en Espagne sur les côtes méditerranéennes dévastées par les promoteurs. Détail qui achève ce funeste tableau : la pancarte de mise en vente est en allemand ! Le pire a déjà commencé ! En face, c’est un petit immeuble d’appartements, avec la pancarte d’un promoteur italien !

Sur la route toute droite et pavée qui va vers le village de Morro, je remarque comme l’autre jour de nombreux fossiles, parfois très gros. Le trafic routier est faible, et l’autostop ne marche pas fort. J’ai décidé d’aller où ira la voiture qui voudra bien m’embarquer. Je croise les pompiers de l’aéroport qui vont en ville. Avec la fréquence des vols qu’il y a ici, ils doivent s’ennuyer !

Je dépasse l’aéroport. Les paysages sont toujours très sahéliens, mais sur ma gauche, au-delà des dunes et des salines, je vois d’énormes rouleaux briser sur la plage. A ma droite, la brousse et de vagues collines rougeâtres.

Presque arrivé à Morro, je suis embarqué par une voiture qui va à…Morro. Le chauffeur m’a reconnu comme le bonhomme qui faisait des dessins au carnaval. Je suis assis à l’arrière avec les enfants du passager, qui parle français. Il a vécu à Dakar et en France, et me dit qu’il est un cousin du Bom Sossego, où je loge. L’île est petite, et, mine de rien, je suis déjà repéré, on sait bien des choses sur moi. Ça me rassure plutôt : c’est la preuve que, malgré le déferlement imminent des barbares -ou tartares-, qu’on attend comme dans Buzzati, les étrangers sont encore assez peu nombreux à Maio pour qu’on s’intéresse humainement à eux. Je vis peut-être la fin d’une époque.

Je fais tourner les pages de mon carnet pour montrer les dessins aux enfants. Et je me demande si l’un ou l’autre des adultes assis à l’avant n’était pas sous le masque de l’un des « pailhasses » d’hier.

Le chauffeur nous dépose à Morro devant la maison de son passager, Alberto, qui m’invite à boire un coup chez lui. C’est une petite maison de plain-pied, qui ne paye pas de mine, avec des rideaux de dentelle aux carreaux. C’est la première fois qu’on me fait l’honneur de me recevoir dans l’intimité d’un foyer capverdien. Nous nous asseyons dans la petite salle à manger. Je tourne le dos au coin salon où une grosse télévision trône devant un canapé bon marché. On est beaucoup plus proche d’un modeste appartement européen que d’une case villageoise d’Afrique de l’ouest.

Mon hôte sort, d’un haut buffet, deux petits verres et une bouteille de grogue, le rhum capverdien. Il me raconte qu’il est gardien de jour des bureaux du port. Il a été chef de chantier pour un français qui voulait construire un village de bungalows sur la plage de Morro. Mais ce patron est à présent emprisonné à Praia. Il a fait des bêtises. « Oh, des bêtises » dit Alberto, sans entrer dans les détails. Mais j’ai déjà eu vent de cette histoire. Le français serait tombé pour pédophilie.

Les enfants sont devant la télé, et la maîtresse de maison arrive. Après avoir bu mon verre de grogue, je prends congé pour aller voir la plage avant la nuit.

Morro est à un petit kilomètre de la mer. Il y a quelques palmiers, puis je traverse une sansouire, dans un petit estuaire largement asséché où subsiste une grande mare salée, séparée de l’océan par la plage où gronde la barre, qu’on entend bien avant de la voir.

Sur la rive droite de cet estuaire se trouve le village de bungalows abandonné, et sur la rive droite, un autre complexe, un peu plus loin de moi, où je vois des lumières qui s’allument, alors que la nuit commence à tomber. De retour à Morro, je retrouve Alberto, qui m’explique que le village du français a été vendu à des anglais qui n’en font rien . L’autre village, où j’ai vu de la lumière, aurait été créé par des espagnols, avant d’être vendu à des allemands. J’en déduis que c’est là que doit loger le groupe d’allemands qui avaient eu droit à un traitement de faveur, lors de l’annulation du vol de Praia. Ils ont certainement aussi bénéficié du vol qui nous avait « oubliés » le lendemain matin. C’est pour cela que je ne les ai jamais revus.

Alberto à l’air de croire que je pourrais faire quelque chose pour que l’entreprise du français emprisonné soit poursuivie. Il me donne son adresse, au cas où je déciderais des investisseurs, et veut me convaincre que ce serait une bonne affaire. Il m’explique que la meilleure saison, pour séjourner à Maio, serait le mois de juin, où le vent est faible, les températures plus élevées et la mer calme. C’est à ce moment que les tortues marines viennent pondre. D’où l’importance accordée à la protection des plages, et des dunes. Je me souviens que c’est aussi le temps des vendanges sur le volcan de Fogo. Il faudra penser à tout ça si je reviens un jour.

Je retourne à pied à Vila, à cinq kilomètres, alors que la nuit se fait de plus en plus noire. Heureusement, j’ai une petite lampe, car je suis en pleine brousse, et la route n’est absolument pas éclairée. Les rares véhicules vont trop vite, et me voient trop tard pour me prendre. Peu importe, il règne une telle paix ici que je suis certain d’arriver sans encombre.

A l’entrée de la ville, je m’arrête à la station-service pour regarder le prix du carburant. Le sans-plomb est à 132 escudos, un tarif digne de l’Europe, alors que le pouvoir d’achat, ici, est beaucoup plus faible. J’arrive avant l’habituelle coupure de courant du soir. A l’horizon, toujours les lumières de Praia qui scintillent de l’autre côté du bras de mer.

samedi 21 novembre 2009

Le carnaval de Maio

A mon arrivée, il y a du monde sur l’avenue, mais la fête n’est pas encore commencée. Les techniciens du son et leur matériel, ainsi que le jury qui devra évaluer les différents groupes, sont installés à la terrasse de la délégation locale du ministère de l’agriculture, la pêche et l’environnement, dont la façade est décorée de papier crépon et de guirlandes.

Après une longue attente, le premier char apparaît, entouré de danseuses de samba, très jeunes et dansant très moyennement, mais qui ont le mérite de chanter en même temps. Quant au char, je vais mettre un moment à comprendre que ce dos de chameau partiellement couvert de sable collé, posé sur une remorque dont le pourtour est décoré de branches de tamaris, représente une dune ! Le thème du carnaval des grands est le même que celui des petits : la défense de l’environnement. Et les massifs dunaires, surtout sur la côte ouest, font partie du patrimoine naturel de Maio. C’est ce que rappellent les banderoles arrivant derrière le char. Ayant moi-même consacré beaucoup de temps, d’argent et de sueur à planter des ganivelles sur les dunes entre Sète et Agde, je suis sensible à la chose…

Divers chars se suivent, mais le spectacle est aussi dans le public, avec des déguisements et des comportements un peu fous, dans une ambiance bon enfant et rigolarde ! Les curieux viennent gentiment regarder mes croquis…

Deux personnages remarquables sont vêtus et gantés de façon à être méconnaissables… L’un d’eux a un pantalon rembourré, l’autre une combinaison de travail orange, ils portent de hideux masques de carton ondulé, avec de grandes dents jaunes et une langue pendante rouge… Sur un plastron en carton, l’un a écrit « Paz e amor » autour du nœud rouge symbole de la lutte contre le sida. Ils sont armés de longs tubes de carton qui leur servent de matraques. Ils ne disent rien, mais ont manifestement le rôle de « police » du carnaval, aux ordres du jury. Leur apparence et la crainte qu’ils inspirent me fait irrésistiblement penser, en moins violents, aux fameux « pailhasses » de Cournonterral, dans l’Hérault, avec qui ils partagent certainement de lointains ancêtres issus des carnavals occitans et portugais.

Alors qu’en Europe, pour le carnaval, les enfants se déguisent pathétiquement en Spiderman avec des costumes achetés, ce sont les petits capverdiens de Maio qui cultivent leur part de culture européenne, en se bricolant eux-mêmes des heaumes de chevaliers en carton, des capes, et des épées de bois.

Trois adolescents sont grimés en esclaves et négrier. Le plus grand fait le négrier, avec un gourdin en carton, les deux autres sont torse nu et en pantalon corsaire, enduits d’une huile foncée qui les rend plus noirs que ne l’est leur peau de métis. Ils sont enchaînés l’un à l’autre et miment en riant la marche titubante des esclaves sous les coups du négrier. Ils insistent pour que je les prenne en photo.


Le même thème est repris par un des chars, une camionnette sur laquelle sont assis un couple de colons avec de belles toilettes blanches, chapeaux, ombrelles, enfants endimanchés, et derrière eux le « pelourinho », le pilori auquel sont attachés, bras en l’air, un couple d’esclaves. Accrochés au pare-choc arrière du véhicule, un cortège d’esclaves encordés et traînés, tandis qu’un contremaître ferme la marche en les frappant. Les acteurs jouent leur rôle avec réalisme, mais le garde-chiourme leur donne tout de même à boire régulièrement.

Il y a d’ailleurs un service de boisson pour tout le cortège et les danseuses, à qui des proches tendent régulièrement de l’eau.

Chaque char a sa reine, ou parfois son roi, juchés sur la dune en plastique, ou sur une remorque ou camionnette décorée. Deux zèbres ornent le char « Terra Africa », une grande tortue marine en résine et fibre de verre sur le char « Protegemos o mar ».
Un autre char est consacré à la lutte contre le sida. Il porte la devise « Mantener a promesa », traduction du slogan américain « Keep the promise », ce qui me fait soupçonner qu’une église évangéliste est à l’origine de ce char. J’ai remarqué qu’il y en a au moins une installée dans le village, leur temple est dans une villa de l’avenue.

A l’arrière, un groupe de petits garçons en treillis et béret, avec des fusils de bois, est suivi par une fillette qui brandit une pancarte : « Guerra nâo ».

Ce n’est pas fini ! La parade continue avec des boxeurs, des travestis dont se moquent les matrones du village, des balayeurs de rues poussant une poubelle, des danseuses costumées en africaines ou en créoles… Il y a même un isolé en homme-grenouille. Il porte une combinaison en néoprène, malgré la chaleur, une bouteille d’air, un masque, des palmes et un fusil harpon, heureusement hors d’usage, et joue son rôle jusqu’au délire : à plat ventre sur le pavé, il nage à la poursuite d’une vieille bouteille de plastique écrasée qu’il finit par embrocher !

Une pseudo-équipe de télévision avec caméra en bois et micro en pot de yaourt interroge et filme les badauds. J’y ai droit aussi, on me demande si c’est la première fois que j’assiste au carnaval de Maio, et si ça me plait…

Arrivent des vélos bricolés, on leur a greffé des réservoirs de motos, et de hauts guidons style « Harley »… Puis des hommes déguisés en poissonnières, ils portent des blouses et des fichus, et sur la tête des plateaux de morue séchée, au bras des balances romaines…

A la fin du défilé, le jury convoque les reines pour un concours de samba sur la terrasse. Ce ne sont pas des professionnelles, elles dansent moins bien que les amatrices françaises que je connais.

Le jury rend son verdict : le vainqueur est le char « Dunas ». Sous les acclamations s’agitent les pancartes « Nâo destruam a nossa duna » et « Dunas beleza di natureza ». On croirait que c’était arrangé d’avance, mais peu importe, tout le monde est content.

Peu à peu, la foule se disperse, le soleil descend sur Sâotiago, et à travers les nuages, ses rayons découpent les reliefs de l’île en une multitude de plans successifs. C’est très beau.

lundi 16 novembre 2009

La longue marche de Maio


Ce matin, je dois partir vers l’est, mais la cuisinière est en retard, et comme je ne veux pas partir le ventre vide, je serai moi aussi en retard. Je ne quitte l’hôtel que vers 8 heures 30. Je prends une large avenue qui va vers l’intérieur de l’île en traversant des quartiers récents. Je passe aux bureaux de la TACV pour confirmer mon retour à Praia le 6 mars.

Je longe ensuite le lycée, une station-service, divers services publics et entreprises. Même sans les lotissements touristiques, Vila s’étend considérablement, comme toutes les petites et grandes villes d’Afrique, du simple fait de la démographie.

Enfin en rase campagne, je presse le pas. Il fait encore assez frais, mais j’ai prévu un grand périple aujourd’hui, et le retour dans l’après-midi risque d’être éprouvant. Je me retrouve au coude à coude avec un gamin d’une douzaine d’années qui n’admet pas que je le double en marchant. Chaque fois il accélère pour revenir devant moi. Ce petit jeu m’amuse et je relève le défi. Nous marchons sur le bord de la route pavée dans une partie légèrement vallonnée, et je finis par le laisser assez loin derrière moi, mais il se fait prendre en stop.

Au bout de deux ou trois kilomètres, je suis vraiment à l’intérieur de Maio, dans une zone plate, où ne poussent que de rares acacias. D’ici, la mer est invisible. C’est une étendue caillouteuse, aride, rouge foncé, encore une fois un paysage martien. Au loin, une ou deux collines, dont le Monte Penoso, principal sommet de l’île avec ses 436 mètres, sont les seuls points remarquables. J’ai une impression d’immensité : qui aurait imaginé qu’un désert aussi grand se cachait dans une île aussi petite !


Je résiste à la tentation de faire du stop. Je voudrais faire tout mon parcours à pied. Je laisse à ma droite la bifurcation vers le hameau de Barreiro que j’aperçois là-bas, dominant la côte sud.

Figueira da Horta est le premier village où j’arrive, à sept kilomètres de Vila do Maio. Il est situé dans une ribeira, et fait figure d’oasis, avec ses grands acacias et ses quelques palmiers. Une des petites maisons basses abrite une épicerie-bar où je me repose, le temps d’une boisson.

Il faut ensuite remonter : la route franchit des collines sur les quelles souffle le vent de l’océan. Je traverse des terrains qui semblent fraîchement reboisés de jeunes arbustes. Je marche avec un grand plaisir. Dans cette partie de l’île, il n’y a pas de basaltes, les calcaires dominent, les terrains sont de couleur plus claire, comme en témoigne le nom de la colline la plus proche, Monte Branco, le mont blanc. Mais les latérites rouges sont encore bien présentes. Dans les pavés de la route, je remarque souvent des fossiles qui pourraient bien être des rostres de bélemnites, cousins des calmars de l’ère secondaire.
A Ribeira Dom Joâo, petit village rue, je revois la mer. Le village est perché au bord d’une ribeira pleine de palmiers, qui s’élargit en débouchant sur la plage. J’ai fait près de treize kilomètres d’un bon pas. Il m’en reste à peu près autant pour boucler ma boucle, mais le retour se fera en suivant le rivage.

Plages blanches au pied de rochers noirs, et eaux turquoises. Je suis récompensé d’avoir bien marché. Il est presque midi. Je me tartine de crème solaire et je repars.


De plage en crique, de calcaire en basalte, je ramasse des coquillages, j’observe les oiseaux. Je suis parfaitement seul. L’arrière pays est désertique sur plusieurs kilomètres. De petites avancées rocheuses coupent les plages. Je passe tantôt à leur pied, entre les rochers et les flaques laissées par la mer, tantôt par-dessus. Il faut dans ce cas, escalader quelques mètres d’éboulis pour accéder au petit plateau caillouteux et raviné, où la chaleur se fait très vite sentir, à peine s’éloigne-t-on de l’eau. L’air vibre de chaleur au ras du sol noir.

Des strates de basalte basculées à la verticale prennent de faux airs de murs en ruine filant des falaises à la mer. Je crois reconnaître des ophiolites, mais une expertise sera nécessaire.

En début d’après midi j’arrive sur une plage très large, très blanche. L’eau est d’un bleu intense, mais la barre est forte, je ne veux pas me baigner seul. Le vent souffle de terre, et le soleil commence à taper dur. J’avais prévu une halte pour faire une sieste à l’ombre, mais il n’y a d’ombre nulle part.

Je dépasse le hameau de pêcheurs de Lagoa, où les gens sont en train de remonter leurs barques sur la plage. Des familles entières sont là, on me salue aimablement, enfants et chiens sont plus curieux, mais je passe mon chemin.

Je coupe à travers les sansouires, où subsistent quelques mares salées, entre des étendues où le sol est craquelé et couvert de sel. J’enjambe les touffes d’une plante halophile aux feuilles grasses vertes et rouges. Les champs qu’elle recouvre ont un bel aspect, à cause du contraste entre ces deux couleurs.

Ne suivant pas l’arrondi de la côte, je raccourcis un peu mon chemin, mais je me prive de la relative fraîcheur du bord de l’eau. J’arrive à un bosquet d’acacias et de tamaris à l’ombre des quels je me réfugie une petite heure. Je m’assieds sur un tronc couché. Quelques chèvres, pintades et pique-bœufs, sont aussi cachés là, mais je suis accepté sans histoires, jusqu’au moment où je sors mon harmonica. Dès les premières notes, un concert de bêlements m’enjoint clairement d’arrêter la musique. Je suis vexé.

Je m’ennuie devant ce public qui ne me mérite pas, et malgré la chaleur, je décide de reprendre mon chemin. Je vais de bosquet en bosquet, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Je traverse à nouveau un petit plateau caillouteux qui est une fournaise. Quelques murets de pierres sèches délimitent des enclos vides, et donnent un peu d’ombre aux chèvres. Pour éviter deux bovins dont j’ignore le sexe, je redescends vers la sansouire et la plage. Il y a de nombreux terriers entre les salicornes, sans doute ceux de gros crabes qui se cachent du soleil.
Un cargo passe tout près de la côte. Sa faible vitesse et sa route me font penser qu’il va à Vila.


Je suis ébloui par la palette de couleurs du paysage, le blanc du sable, bleu-vert de la mer, bleu du ciel, vert et rouge des feuillages au ras du sol, ocres et roses de la petite falaise sous laquelle je vais enfin trouver une ombre digne de ma sieste. Mieux encore que l’ombre, un peu de fraîcheur et de sable doux pour m’allonger sous un surplomb rocheux.


Je ne suis pas le premier à me réfugier là. Les restes d’un feu, des gobelets et bouteilles vides en plastique relativisent ma robinsonnade. Je ne dois pas être bien loin de Vila, j’ai donc tout mon temps. Je m’offre le luxe de deux heures de sieste et de méditation sur mon avenir.

Quelques minutes après avoir repris mon chemin, j’arrive à Ponta Preta, où j’étais venu le premier soir, j’y trouve une famille de touristes européens sur la plage, peut-être les occupants de la villa voisine. Je reprends le sentier déjà connu pour rentrer en ville. Le petit cargo est bien là, amarré au wharf, j’avais vu juste.

Je rentre à l’hôtel. Je ne suis pas mécontent, j’ai fait vingt-cinq bons kilomètres dans la journée, avec un litre d’eau et un petit pain. Bientôt prêt pour les commandos !

jeudi 5 novembre 2009

AYANT QUITTE L'ILE DE FOGO, JE PASSE 36 HEURES A PRAIA BLOQUE PAR UNE PANNE D'AVION, AVANT DE M'ENVOLER ENFIN POUR LA PETITE ILE DE MAIO.

Notre avion vient enfin stationner devant nous. Il appartient à une compagnie privée, « Cabo Verde Express ». C’est un petit bi-turbine, avec des hélices à cinq pales, un engin de vingt places de fabrication tchèque, un LET 410, deux fois moins gros que l’ATR 42 de la TACV. Notre groupe suffit à le remplir. Le poste de pilotage n’est séparé de la cabine que par une demi-cloison, et on peut voir tout ce qui se passe à l’avant.




Le vol ne dure guère plus d’un quart d’heure, et la visibilité est excellente. Juste après le décollage, ce sont les criques de la côte sud-est, et les montagnes de l’intérieur de Saotiago. A l’atterrissage, on survole de très bas une immense plage blanche coupée par un long wharf sur pilotis en béton, une mer d’un bleu-vert intense…


Et déjà on applaudit le pilote !



Maio est une île minuscule de vingt kilomètres de long sur l’axe nord-sud, et une dizaine en est-ouest, un peu plus large dans sa partie sud, ce qui lui donne un peu la forme d’un oeuf. Elle est basse et tabulaire, avec quelques collines dans le nord-est. Son relief est trop bas pour accrocher les nuages, il n’y a donc pas de zone humide, comme celle de Fogo. Elle est extrêmement aride. Mais elle dispose de nappes d’eau souterraine, ce qui est rare dans l’archipel, car elle n’est pas entièrement volcanique, on y trouve aussi des calcaires marins.

L’aérogare est encore plus petite que celle de Fogo. Il n’y a qu’un ou deux vols par jour. La récupération des bagages se fait par-dessus un petit mur. Il faut ensuite trouver un aluguer, partagé avec d’autres personnes, qui nous conduit à la capitale de l’île, Vila do Maio, à un kilomètre. Nous entrons dans le village par le nord et je remarque des lotissements, des villas ou de petits immeubles pimpants, qui évoquent tristement un littoral touristique espagnol, ou canarien.

Vila do Maio, appelée souvent Vila, s’étend le long d’une avenue pavée, en front de mer, dominant la grande plage aperçue de l’avion. A l’horizon, la masse de la grande île de Saotiago est très visible. Les maisons et petits immeubles s’étagent en deuxième et troisième ligne au long de rues parallèles au front de mer. Les rues transversales sont en pente assez forte.

L’hôtel Bom Sossego est situé sur une grande place rectangulaire arborée, en deuxième ligne. A partir de la place, un large escalier conduit au niveau supérieur de la ville où s’élève une église assez jolie de style très portugais. Je jette un coup d’œil à l’intérieur ou se tient un baptême. Après avoir pris une chambre et déposé mon sac, je vais faire un tour à pied. Je crois rêver, tant cette île est belle et paisible. Redescendu sur l’avenue du front de mer, je regarde la houle déferler sur la plage à trois mètres en contrebas, les petites barques multicolores remontées et retournées sur le sable… Et ce village m’enchante bien qu’il n’ait rien de spectaculaire…


L’homme de Sal, qui venait à Maio pour son travail, loge aussi au Bom Sossego. Nous mangeons à deux tables voisines et faisons mieux connaissance. Il s’appelle Ismaël, il est pompier à l’aéroport de Sal, le plus important du pays, et vient ici pour former ses collègues à l’utilisation de nouveaux équipements. Ce métier explique son multilinguisme. L’anglais est la langue de l’aéronautique. Il parle aussi afrikaans, car à l’époque socialiste, le Cap Vert révolutionnaire était le seul pays accordant un droit d’escale aux avions de l’Afrique du sud , pays du racisme officiel et de l’apartheid. Le gouvernement de l’époque avait trop besoin de devises pour ne pas faire d’entorse à ses principes, en un temps où toute l’Afrique faisait bloc contre l’apartheid. Ismaël a donc été formé en Afrique du sud. Il a vécu un temps aux Pays-Bas, et parle aussi un peu le néerlandais. Il parle français pour je ne sais plus quelle raison. A quoi s’ajoutent évidemment le portugais et le créole. On voit plus de polyglottes dans ce pays prétendument arriéré que dans la patrie de Jules Ferry !

On parle aussi de musique, et il me raconte qu’Ildo Lobo était originaire de Sal. Il était plus populaire dans son pays que la célèbre Cesaria Evora, et sa mort en octobre 2004, à seulement 51 ans, a été un drame national.



Ma sieste est interrompue par une rumeur, de la musique, des chants… Je sors, et guidé par le son, je descends vers le front de mer où je découvre un grand cortège d’enfants. C’est le carnaval des écoles de Maio. Les classes sont déguisées en différentes couleurs, et deux ou trois camionnettes sont intercalées dans le cortège, transportant les hauts parleurs, et quelques enfants. Le thème du carnaval est la défense de la nature, dont je vais découvrir ici que c’est un leitmotiv lié aux projets de développement du tourisme « vert ». C’est une idéologie qu’il faut inculquer à la population en même temps que l’on crée des lotissements.



Toute une classe de petits déguisés en coccinelles à casquettes blanches défilent sur le front de mer, il y a aussi des plus grandes, en collant vert ou bleu, qui dansent la samba… Des banderoles proclament « Viva a defesa da natureza » , « Vamos proteger o ambiente » , comme il y a quelques années ils auraient défendu le socialisme et la révolution… Il faut espérer que bientôt ces enfants comprendront que la défense de leur île vaut pour elle-même et non pour le développement touristique.



Le parcours du défilé nous conduit plus haut dans la petite ville, vers les quartiers récents, plus loin de la mer… L’atmosphère est joyeuse, les enfants rient, courent et chantent. A l’arrière d’une camionnette, ils brandissent encore une grande feuille de papier sur laquelle ils ont dessiné une tortue marine et tracé cet appel : « Protege esta espécie ». Nous passons devant une école. Sur le mur extérieur, une fresque naïve représente des enfants plantant des arbres et les arrosant, avec cette phrase : « Plante uma arvore, e cuide dela ». Le message va passer ! Et ce n’est pas superflu…



Quittant le carnaval, je sors de Vila par le sud. Je suis toujours sur le petit plateau où est bâtie la ville, mais de ce côté, il a les pieds dans la mer, il n’y a pas de plage. Je traverse des terrains vagues en suivant un sentier. On dirait qu’ici la construction d’un certain nombre de maisons a commencée, les fondations ont été coulées, et le bas des murs aussi, mais les chantiers semblent interrompus.

Sous un des rares arbres du coin, un homme est assis en tailleur et casse de cailloux pour en faire ces petits pavés qu’on voit partout sur les routes. J’ai lu quelque part que l’entretien des routes demande sans cesse de ces pavés, et que c’est le travail que l’administration coloniale exigeait en échange d’une aide alimentaire dans les années de famine. Je le salue, il fait un sourire, lève le pouce et me lance « fish ! ». Cela fait déjà quelques fois qu’on m’adresse ce mot, qui semble vouloir dire « super », « ça va », mais je n’en comprends pas l’origine.

Je ne longe pas la falaise, je coupe par l’intérieur, mais j’arrive au bord d’un petit ravin, une de ces ribeiras qui découpent les îles, et au fond des quelles on ne trouve pas de rivière, mais parfois un mince ruisseau temporaire, et une végétation plus verte que les épineux des plateaux. De l’autre côté se trouve une belle villa isolée, devant laquelle est garé un petit 4x4 d’un modèle plutôt chic. De loin, j’ai l’impression que les occupants sont des européens.

Je suis le bord du ravin vers la mer, jusqu’à un point où je peux y descendre. Il y a là une mare d’arrière plage, qui doit peut-être déborder dans l’océan en saison des pluies, comme les graus de chez moi, sur le golfe du lion. Je débouche sur une très belle plage qui semble s’étendre très loin vers l’est, suivant l’arrondi du sud de l’île.

Je suis à Ponta Preta, la pointe noire. Comme le soleil commence à descendre, je n’irai pas plus loin. Je décide de rentrer par un chemin différent, en suivant le bord des falaises. Je commence à chercher un passage entre les blocs de basalte, pour me hisser à nouveau sur le plateau. Je découvre des endroits où j’aimerais revenir pour me baigner, mais la houle bat les rochers, bien trop fort en ce moment. Nous sommes bien en hiver.

Bientôt, je repasse par le quartier des villas inachevées… Des chèvres, des cochons qui errent dans des terrains vagues encombrés de détritus…

J’ai encore fait l’impasse sur le repas du soir. Alors que je pensais me coucher, la ville est soudain plongée dans l’obscurité. Automatiquement, le groupe électrogène de l’hôtel se met en marche. Il semble que ce soit assez habituel.

Je redescends en ville. L’obscurité est totale, sauf à proximité des rares immeubles équipés de groupes. Des familles se promènent paisiblement sur le front de mer, et se saluent dans le noir. A l’horizon, on ne voit plus les montagnes de Saotiago, mais on devine les lumières de Praia, bien que la capitale soit du côté opposé de la grande île.

mardi 3 novembre 2009

A travers Fogo en auto-stop

De Mosteiros à Sâo Filipe.

Je me suis levé tôt, mais pas assez. Les aluguers pour Sâo Filipe partaient à six heures. J’espère en trouver un attardé quelque part, et je n’ai aucune envie de me presser.

Après le petit-déjeuner et un tour par la poste, je prends la route, toujours sac au dos. C’est long Mosteiros. La route longe la mer à une certaine distance, et je traverse des quartiers modernes sans aucun charme, je passe devant des ateliers, chantiers, fabricants de meubles, garagistes… Cette ville fut la capitale de Fogo, avant Sâo Filipe, il y avait un petit aérodrome, qui est désaffecté.

Puis, entre la route et la mer, il y a des champs, des terrains vagues, une étroite plaine côtière sur ma droite, tandis qu’à gauche le terrain s’élève très vite, c’est pied du volcan. La végétation, de ce côté, est déjà clairsemée, par rapport à ce que j’ai traversé dans ma descente.

Après avoir un peu erré, je trouve la bifurcation vers Sâo Filipe. Je passe devant ce qui est certainement la maison d’un capverdien américain. Une belle villa de plain-pied, au jardin bien entretenu, avec un gros 4x4 garé devant la porte, et la bannière étoilée qui flotte en haut d’un mât !

La route monte raide, le soleil aussi, Sâo Filipe est encore loin. Si je reste à pied, je n’y serai pas ce soir, mais il y a d’autres villages à traverser, j’aviserai. Je marche à flanc de montagne, à droite c’est le ravin, et la route est très fréquemment encombrée d’éboulis récents, ce qui n’est pas rassurant, car pour échapper à une nouvelle chute de pierres, il faudrait sauter dans le vide !

Inutile de faire du stop, il ne passe personne. J’arrive à un col où des paysans remplissent de gros bidons de plastique jaune à une fontaine, puis les chargent au dos de leurs ânes.

Enfin, un véhicule approche, et je tends le pouce. C’est un pick-up japonais de couleur rouge, conduit par un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui me fait monter à côté de lui. Très ouvert, très bavard, il me parle en anglais. Il est déjà allé aux Etats-Unis, et voudrait y retourner. Sa conduite sportive m’inquiète un peu.

Comme je lui dis que je suis français, il m’explique que lui aussi est d’origine française : c’est un Montrond par sa mère, et il n’en est pas peu fier. Il est vrai que nous sommes ici en plein dans la région où vécut l’ancêtre de tous les Montrond.

Il s’arrête au village d’Atalaïa pour embarquer sa mère et sa sœur. Leur maison est petite, mais jolie, avec des bougainvillées devant la façade. J’attends dehors.

La vieille dame arrive. Elle est très claire de peau, et me confirme qu’elle est une Montrond. Je cède ma place à l’avant et je vais sur le plateau arrière avec mon sac. Ça va faire peur !

Le reste du trajet est à sensations fortes ! Je me cramponne comme je peux, et j’essaye de ne pas trop regarder le précipice. Même dans la traversée des villages, il ne lève guère le pied. Il s’arrête tout de même pour prendre une jeune fille qui fait aussi du stop. Elle va vomir presque tout le trajet, sur mon sac et sur moi.

Nous devons passer non loin d’un village de pêcheurs nommé Sâo Jorge, réputé pour sa petite plage et des grottes marines. J’espère m’en servir de prétexte pour débarquer si notre chauffeur me fait vraiment trop peur.

Par chance, le paysage s’aplanit, la route se fait moins vertigineuse, et le littoral s’éloigne de nous, à mesure qu’on approche de Sâo Filipe, dans un paysage de plus en plus sahélien, où les acacias reviennent en force.

En pleine brousse, à quelques kilomètres de la ville, nous passons encore devant la villa d’un émigré, maison à étage peinte en rose vif, entourée d’un mur de clôture : sur chaque pilier, un lion en plâtre laqué rouge et or !

Arrivé à Sâo Filipe en fin de matinée, dans une petite rue où se gare la voiture, j’essaye de traduire à mon chauffeur et à sa mère le texte de mon guide consacré à Armand Montrond. Dans leurs commentaires, je crois reconnaître plusieurs fois l’expression « irmâos de França », « frères de France ». Ai-je bien compris, serait-ce ainsi qu’ils s’appellent entre eux, les Montrond, ou est-ce mon imagination ?

Je finis mon trajet à pied jusqu’à la pension Fatima, où je reprends la même chambre que l’autre jour. Je dépose mes affaires et je ressors aussitôt pour me rendre aux bureaux de la TACV. Je veux réserver mes vols pour Praia, et pour Maio.

En ville, je croise des mormons ! Il ne manquait plus qu’eux !

La mer est belle sous le vent de Fogo, et plus houleuse au loin, vers Brava, mais il n’est plus temps de tergiverser, ma décision est prise, je n’y irai pas cette fois.