lundi 16 novembre 2009

La longue marche de Maio


Ce matin, je dois partir vers l’est, mais la cuisinière est en retard, et comme je ne veux pas partir le ventre vide, je serai moi aussi en retard. Je ne quitte l’hôtel que vers 8 heures 30. Je prends une large avenue qui va vers l’intérieur de l’île en traversant des quartiers récents. Je passe aux bureaux de la TACV pour confirmer mon retour à Praia le 6 mars.

Je longe ensuite le lycée, une station-service, divers services publics et entreprises. Même sans les lotissements touristiques, Vila s’étend considérablement, comme toutes les petites et grandes villes d’Afrique, du simple fait de la démographie.

Enfin en rase campagne, je presse le pas. Il fait encore assez frais, mais j’ai prévu un grand périple aujourd’hui, et le retour dans l’après-midi risque d’être éprouvant. Je me retrouve au coude à coude avec un gamin d’une douzaine d’années qui n’admet pas que je le double en marchant. Chaque fois il accélère pour revenir devant moi. Ce petit jeu m’amuse et je relève le défi. Nous marchons sur le bord de la route pavée dans une partie légèrement vallonnée, et je finis par le laisser assez loin derrière moi, mais il se fait prendre en stop.

Au bout de deux ou trois kilomètres, je suis vraiment à l’intérieur de Maio, dans une zone plate, où ne poussent que de rares acacias. D’ici, la mer est invisible. C’est une étendue caillouteuse, aride, rouge foncé, encore une fois un paysage martien. Au loin, une ou deux collines, dont le Monte Penoso, principal sommet de l’île avec ses 436 mètres, sont les seuls points remarquables. J’ai une impression d’immensité : qui aurait imaginé qu’un désert aussi grand se cachait dans une île aussi petite !


Je résiste à la tentation de faire du stop. Je voudrais faire tout mon parcours à pied. Je laisse à ma droite la bifurcation vers le hameau de Barreiro que j’aperçois là-bas, dominant la côte sud.

Figueira da Horta est le premier village où j’arrive, à sept kilomètres de Vila do Maio. Il est situé dans une ribeira, et fait figure d’oasis, avec ses grands acacias et ses quelques palmiers. Une des petites maisons basses abrite une épicerie-bar où je me repose, le temps d’une boisson.

Il faut ensuite remonter : la route franchit des collines sur les quelles souffle le vent de l’océan. Je traverse des terrains qui semblent fraîchement reboisés de jeunes arbustes. Je marche avec un grand plaisir. Dans cette partie de l’île, il n’y a pas de basaltes, les calcaires dominent, les terrains sont de couleur plus claire, comme en témoigne le nom de la colline la plus proche, Monte Branco, le mont blanc. Mais les latérites rouges sont encore bien présentes. Dans les pavés de la route, je remarque souvent des fossiles qui pourraient bien être des rostres de bélemnites, cousins des calmars de l’ère secondaire.
A Ribeira Dom Joâo, petit village rue, je revois la mer. Le village est perché au bord d’une ribeira pleine de palmiers, qui s’élargit en débouchant sur la plage. J’ai fait près de treize kilomètres d’un bon pas. Il m’en reste à peu près autant pour boucler ma boucle, mais le retour se fera en suivant le rivage.

Plages blanches au pied de rochers noirs, et eaux turquoises. Je suis récompensé d’avoir bien marché. Il est presque midi. Je me tartine de crème solaire et je repars.


De plage en crique, de calcaire en basalte, je ramasse des coquillages, j’observe les oiseaux. Je suis parfaitement seul. L’arrière pays est désertique sur plusieurs kilomètres. De petites avancées rocheuses coupent les plages. Je passe tantôt à leur pied, entre les rochers et les flaques laissées par la mer, tantôt par-dessus. Il faut dans ce cas, escalader quelques mètres d’éboulis pour accéder au petit plateau caillouteux et raviné, où la chaleur se fait très vite sentir, à peine s’éloigne-t-on de l’eau. L’air vibre de chaleur au ras du sol noir.

Des strates de basalte basculées à la verticale prennent de faux airs de murs en ruine filant des falaises à la mer. Je crois reconnaître des ophiolites, mais une expertise sera nécessaire.

En début d’après midi j’arrive sur une plage très large, très blanche. L’eau est d’un bleu intense, mais la barre est forte, je ne veux pas me baigner seul. Le vent souffle de terre, et le soleil commence à taper dur. J’avais prévu une halte pour faire une sieste à l’ombre, mais il n’y a d’ombre nulle part.

Je dépasse le hameau de pêcheurs de Lagoa, où les gens sont en train de remonter leurs barques sur la plage. Des familles entières sont là, on me salue aimablement, enfants et chiens sont plus curieux, mais je passe mon chemin.

Je coupe à travers les sansouires, où subsistent quelques mares salées, entre des étendues où le sol est craquelé et couvert de sel. J’enjambe les touffes d’une plante halophile aux feuilles grasses vertes et rouges. Les champs qu’elle recouvre ont un bel aspect, à cause du contraste entre ces deux couleurs.

Ne suivant pas l’arrondi de la côte, je raccourcis un peu mon chemin, mais je me prive de la relative fraîcheur du bord de l’eau. J’arrive à un bosquet d’acacias et de tamaris à l’ombre des quels je me réfugie une petite heure. Je m’assieds sur un tronc couché. Quelques chèvres, pintades et pique-bœufs, sont aussi cachés là, mais je suis accepté sans histoires, jusqu’au moment où je sors mon harmonica. Dès les premières notes, un concert de bêlements m’enjoint clairement d’arrêter la musique. Je suis vexé.

Je m’ennuie devant ce public qui ne me mérite pas, et malgré la chaleur, je décide de reprendre mon chemin. Je vais de bosquet en bosquet, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. Je traverse à nouveau un petit plateau caillouteux qui est une fournaise. Quelques murets de pierres sèches délimitent des enclos vides, et donnent un peu d’ombre aux chèvres. Pour éviter deux bovins dont j’ignore le sexe, je redescends vers la sansouire et la plage. Il y a de nombreux terriers entre les salicornes, sans doute ceux de gros crabes qui se cachent du soleil.
Un cargo passe tout près de la côte. Sa faible vitesse et sa route me font penser qu’il va à Vila.


Je suis ébloui par la palette de couleurs du paysage, le blanc du sable, bleu-vert de la mer, bleu du ciel, vert et rouge des feuillages au ras du sol, ocres et roses de la petite falaise sous laquelle je vais enfin trouver une ombre digne de ma sieste. Mieux encore que l’ombre, un peu de fraîcheur et de sable doux pour m’allonger sous un surplomb rocheux.


Je ne suis pas le premier à me réfugier là. Les restes d’un feu, des gobelets et bouteilles vides en plastique relativisent ma robinsonnade. Je ne dois pas être bien loin de Vila, j’ai donc tout mon temps. Je m’offre le luxe de deux heures de sieste et de méditation sur mon avenir.

Quelques minutes après avoir repris mon chemin, j’arrive à Ponta Preta, où j’étais venu le premier soir, j’y trouve une famille de touristes européens sur la plage, peut-être les occupants de la villa voisine. Je reprends le sentier déjà connu pour rentrer en ville. Le petit cargo est bien là, amarré au wharf, j’avais vu juste.

Je rentre à l’hôtel. Je ne suis pas mécontent, j’ai fait vingt-cinq bons kilomètres dans la journée, avec un litre d’eau et un petit pain. Bientôt prêt pour les commandos !