jeudi 26 novembre 2009

Mercredi des cendres


A Maio, le mercredi des cendres, on mange maigre, ce qui ne veut pas dire que l’on mange peu ou mal. Je ne m’attendais pas à un tel festin ! Poisson en sauce avec patates douces, manioc, semoule et fèves. J’en viens à bout et je commande un café avant une sieste digestive, mais il y a encore un dessert : le gâteau au « cuzcuz » de maïs, très dense, avec sa sauce au caramel et au rhum ! Après quoi, je me traîne jusqu’à mon lit où je reste jusque vers dix-sept heures.

Je n’ai pas renoncé à mon excursion vers le nord, et je sors du village à pied, par la route qui mène à l’aéroport. Je longe des lotissements récents. Une dizaine de villas blanches toutes semblables, flanquées d’une tour ronde, avec des toits de tuiles. Exactement ce qu’on peut voir en Espagne sur les côtes méditerranéennes dévastées par les promoteurs. Détail qui achève ce funeste tableau : la pancarte de mise en vente est en allemand ! Le pire a déjà commencé ! En face, c’est un petit immeuble d’appartements, avec la pancarte d’un promoteur italien !

Sur la route toute droite et pavée qui va vers le village de Morro, je remarque comme l’autre jour de nombreux fossiles, parfois très gros. Le trafic routier est faible, et l’autostop ne marche pas fort. J’ai décidé d’aller où ira la voiture qui voudra bien m’embarquer. Je croise les pompiers de l’aéroport qui vont en ville. Avec la fréquence des vols qu’il y a ici, ils doivent s’ennuyer !

Je dépasse l’aéroport. Les paysages sont toujours très sahéliens, mais sur ma gauche, au-delà des dunes et des salines, je vois d’énormes rouleaux briser sur la plage. A ma droite, la brousse et de vagues collines rougeâtres.

Presque arrivé à Morro, je suis embarqué par une voiture qui va à…Morro. Le chauffeur m’a reconnu comme le bonhomme qui faisait des dessins au carnaval. Je suis assis à l’arrière avec les enfants du passager, qui parle français. Il a vécu à Dakar et en France, et me dit qu’il est un cousin du Bom Sossego, où je loge. L’île est petite, et, mine de rien, je suis déjà repéré, on sait bien des choses sur moi. Ça me rassure plutôt : c’est la preuve que, malgré le déferlement imminent des barbares -ou tartares-, qu’on attend comme dans Buzzati, les étrangers sont encore assez peu nombreux à Maio pour qu’on s’intéresse humainement à eux. Je vis peut-être la fin d’une époque.

Je fais tourner les pages de mon carnet pour montrer les dessins aux enfants. Et je me demande si l’un ou l’autre des adultes assis à l’avant n’était pas sous le masque de l’un des « pailhasses » d’hier.

Le chauffeur nous dépose à Morro devant la maison de son passager, Alberto, qui m’invite à boire un coup chez lui. C’est une petite maison de plain-pied, qui ne paye pas de mine, avec des rideaux de dentelle aux carreaux. C’est la première fois qu’on me fait l’honneur de me recevoir dans l’intimité d’un foyer capverdien. Nous nous asseyons dans la petite salle à manger. Je tourne le dos au coin salon où une grosse télévision trône devant un canapé bon marché. On est beaucoup plus proche d’un modeste appartement européen que d’une case villageoise d’Afrique de l’ouest.

Mon hôte sort, d’un haut buffet, deux petits verres et une bouteille de grogue, le rhum capverdien. Il me raconte qu’il est gardien de jour des bureaux du port. Il a été chef de chantier pour un français qui voulait construire un village de bungalows sur la plage de Morro. Mais ce patron est à présent emprisonné à Praia. Il a fait des bêtises. « Oh, des bêtises » dit Alberto, sans entrer dans les détails. Mais j’ai déjà eu vent de cette histoire. Le français serait tombé pour pédophilie.

Les enfants sont devant la télé, et la maîtresse de maison arrive. Après avoir bu mon verre de grogue, je prends congé pour aller voir la plage avant la nuit.

Morro est à un petit kilomètre de la mer. Il y a quelques palmiers, puis je traverse une sansouire, dans un petit estuaire largement asséché où subsiste une grande mare salée, séparée de l’océan par la plage où gronde la barre, qu’on entend bien avant de la voir.

Sur la rive droite de cet estuaire se trouve le village de bungalows abandonné, et sur la rive droite, un autre complexe, un peu plus loin de moi, où je vois des lumières qui s’allument, alors que la nuit commence à tomber. De retour à Morro, je retrouve Alberto, qui m’explique que le village du français a été vendu à des anglais qui n’en font rien . L’autre village, où j’ai vu de la lumière, aurait été créé par des espagnols, avant d’être vendu à des allemands. J’en déduis que c’est là que doit loger le groupe d’allemands qui avaient eu droit à un traitement de faveur, lors de l’annulation du vol de Praia. Ils ont certainement aussi bénéficié du vol qui nous avait « oubliés » le lendemain matin. C’est pour cela que je ne les ai jamais revus.

Alberto à l’air de croire que je pourrais faire quelque chose pour que l’entreprise du français emprisonné soit poursuivie. Il me donne son adresse, au cas où je déciderais des investisseurs, et veut me convaincre que ce serait une bonne affaire. Il m’explique que la meilleure saison, pour séjourner à Maio, serait le mois de juin, où le vent est faible, les températures plus élevées et la mer calme. C’est à ce moment que les tortues marines viennent pondre. D’où l’importance accordée à la protection des plages, et des dunes. Je me souviens que c’est aussi le temps des vendanges sur le volcan de Fogo. Il faudra penser à tout ça si je reviens un jour.

Je retourne à pied à Vila, à cinq kilomètres, alors que la nuit se fait de plus en plus noire. Heureusement, j’ai une petite lampe, car je suis en pleine brousse, et la route n’est absolument pas éclairée. Les rares véhicules vont trop vite, et me voient trop tard pour me prendre. Peu importe, il règne une telle paix ici que je suis certain d’arriver sans encombre.

A l’entrée de la ville, je m’arrête à la station-service pour regarder le prix du carburant. Le sans-plomb est à 132 escudos, un tarif digne de l’Europe, alors que le pouvoir d’achat, ici, est beaucoup plus faible. J’arrive avant l’habituelle coupure de courant du soir. A l’horizon, toujours les lumières de Praia qui scintillent de l’autre côté du bras de mer.