A mon arrivée, il y a du monde sur l’avenue, mais la fête n’est pas encore commencée. Les techniciens du son et leur matériel, ainsi que le jury qui devra évaluer les différents groupes, sont installés à la terrasse de la délégation locale du ministère de l’agriculture, la pêche et l’environnement, dont la façade est décorée de papier crépon et de guirlandes.
Après une longue attente, le premier char apparaît, entouré de danseuses de samba, très jeunes et dansant très moyennement, mais qui ont le mérite de chanter en même temps. Quant au char, je vais mettre un moment à comprendre que ce dos de chameau partiellement couvert de sable collé, posé sur une remorque dont le pourtour est décoré de branches de tamaris, représente une dune ! Le thème du carnaval des grands est le même que celui des petits : la défense de l’environnement. Et les massifs dunaires, surtout sur la côte ouest, font partie du patrimoine naturel de Maio. C’est ce que rappellent les banderoles arrivant derrière le char. Ayant moi-même consacré beaucoup de temps, d’argent et de sueur à planter des ganivelles sur les dunes entre Sète et Agde, je suis sensible à la chose…
Divers chars se suivent, mais le spectacle est aussi dans le public, avec des déguisements et des comportements un peu fous, dans une ambiance bon enfant et rigolarde ! Les curieux viennent gentiment regarder mes croquis…
Deux personnages remarquables sont vêtus et gantés de façon à être méconnaissables… L’un d’eux a un pantalon rembourré, l’autre une combinaison de travail orange, ils portent de hideux masques de carton ondulé, avec de grandes dents jaunes et une langue pendante rouge… Sur un plastron en carton, l’un a écrit « Paz e amor » autour du nœud rouge symbole de la lutte contre le sida. Ils sont armés de longs tubes de carton qui leur servent de matraques. Ils ne disent rien, mais ont manifestement le rôle de « police » du carnaval, aux ordres du jury. Leur apparence et la crainte qu’ils inspirent me fait irrésistiblement penser, en moins violents, aux fameux « pailhasses » de Cournonterral, dans l’Hérault, avec qui ils partagent certainement de lointains ancêtres issus des carnavals occitans et portugais.
Alors qu’en Europe, pour le carnaval, les enfants se déguisent pathétiquement en Spiderman avec des costumes achetés, ce sont les petits capverdiens de Maio qui cultivent leur part de culture européenne, en se bricolant eux-mêmes des heaumes de chevaliers en carton, des capes, et des épées de bois.
Trois adolescents sont grimés en esclaves et négrier. Le plus grand fait le négrier, avec un gourdin en carton, les deux autres sont torse nu et en pantalon corsaire, enduits d’une huile foncée qui les rend plus noirs que ne l’est leur peau de métis. Ils sont enchaînés l’un à l’autre et miment en riant la marche titubante des esclaves sous les coups du négrier. Ils insistent pour que je les prenne en photo.
Le même thème est repris par un des chars, une camionnette sur laquelle sont assis un couple de colons avec de belles toilettes blanches, chapeaux, ombrelles, enfants endimanchés, et derrière eux le « pelourinho », le pilori auquel sont attachés, bras en l’air, un couple d’esclaves. Accrochés au pare-choc arrière du véhicule, un cortège d’esclaves encordés et traînés, tandis qu’un contremaître ferme la marche en les frappant. Les acteurs jouent leur rôle avec réalisme, mais le garde-chiourme leur donne tout de même à boire régulièrement.
Il y a d’ailleurs un service de boisson pour tout le cortège et les danseuses, à qui des proches tendent régulièrement de l’eau.
Chaque char a sa reine, ou parfois son roi, juchés sur la dune en plastique, ou sur une remorque ou camionnette décorée. Deux zèbres ornent le char « Terra Africa », une grande tortue marine en résine et fibre de verre sur le char « Protegemos o mar ».
Un autre char est consacré à la lutte contre le sida. Il porte la devise « Mantener a promesa », traduction du slogan américain « Keep the promise », ce qui me fait soupçonner qu’une église évangéliste est à l’origine de ce char. J’ai remarqué qu’il y en a au moins une installée dans le village, leur temple est dans une villa de l’avenue.
A l’arrière, un groupe de petits garçons en treillis et béret, avec des fusils de bois, est suivi par une fillette qui brandit une pancarte : « Guerra nâo ».
Ce n’est pas fini ! La parade continue avec des boxeurs, des travestis dont se moquent les matrones du village, des balayeurs de rues poussant une poubelle, des danseuses costumées en africaines ou en créoles… Il y a même un isolé en homme-grenouille. Il porte une combinaison en néoprène, malgré la chaleur, une bouteille d’air, un masque, des palmes et un fusil harpon, heureusement hors d’usage, et joue son rôle jusqu’au délire : à plat ventre sur le pavé, il nage à la poursuite d’une vieille bouteille de plastique écrasée qu’il finit par embrocher !
Une pseudo-équipe de télévision avec caméra en bois et micro en pot de yaourt interroge et filme les badauds. J’y ai droit aussi, on me demande si c’est la première fois que j’assiste au carnaval de Maio, et si ça me plait…
Arrivent des vélos bricolés, on leur a greffé des réservoirs de motos, et de hauts guidons style « Harley »… Puis des hommes déguisés en poissonnières, ils portent des blouses et des fichus, et sur la tête des plateaux de morue séchée, au bras des balances romaines…
A la fin du défilé, le jury convoque les reines pour un concours de samba sur la terrasse. Ce ne sont pas des professionnelles, elles dansent moins bien que les amatrices françaises que je connais.
Le jury rend son verdict : le vainqueur est le char « Dunas ». Sous les acclamations s’agitent les pancartes « Nâo destruam a nossa duna » et « Dunas beleza di natureza ». On croirait que c’était arrangé d’avance, mais peu importe, tout le monde est content.
Peu à peu, la foule se disperse, le soleil descend sur Sâotiago, et à travers les nuages, ses rayons découpent les reliefs de l’île en une multitude de plans successifs. C’est très beau.
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