lundi 26 octobre 2009

Au dessus du volcan



À trop croire les guides touristiques qui disent que les avions décollent parfois en avance, on doit supporter une longue, très longue attente, car il partira en retard. La salle d’embarquement est très belle et propre. Toujours de la salsa en fond sonore. Par les baies vitrées, nous voyons notre avion, un ATR 42 stationné juste devant nous. Ses hélices sont amarrées au sol, à cause du vent qui balaye la piste en puissantes rafales.

A l’embarquement, bien plus de capverdiens que de touristes dans l’avion. Le décollage est très court. Les vues sur Santiago, que nous quittons, sont belles à travers les nuages. Plateaux rouges et secs, coupés de ravins où se cache la végétation. Mais les villages sont sur les plateaux.



Le vent nous pousse, et après un court moment sur la mer, on voit se dessiner le volcan de Fogo au-dessus des nuages : un cône d’une trentaine de kilomètres de diamètre et deux mille huit cents mètres de haut. Je suis très bien placé, à un hublot de droite. Les murailles de la caldeira sont impressionnantes, comme le nouveau cône qui s’est formé du côté est, où le gigantesque cratère est égueulé, ouvert sur un océan de nuages.




On distingue nettement les nombreuses coulées de lave qui ont dévalé ces pentes jusqu’à la mer, coupant des paysages arides. Vers le bas, ce sont des falaises qui plongent dans l’eau. Il n’y a pas de plages. Les ravins creusés par des ruisseaux temporaires débouchent dans le vide. Cela doit donner de fines cascades tombant dans l’océan, quand il pleut.



Tout est si sec et écrasé de soleil que mon ambition de monter à pied jusqu’à la caldeira se fissure déjà. En descendre, peut-être…

( photo Attila Bertalan, 2006 )
Je vois enfin l’aspect véritable de ce qui m’a tant fait rêver sur les cartes. Nous survolons Sao Filipe, la capitale de Fogo. La petite ville est installée sur les falaises, de part et d’autre d’un ravin, mais de ce côté de l’île, moins exposé à la houle, il y a des plages noires au pied des falaises. On passe très bas au-dessus des maisons avant un atterrissage en douceur. L’aérogare est minuscule.



Je partage un taxi avec l’anglais, car nos guides respectifs conseillent la même pension de famille, chez Fatima. Nous sommes reçus par des gamines d’une quinzaine d’années. Je prends à peine le temps de poser les bagages, j’ai hâte de faire un tour en ville. Le soleil tape, mais la température est agréable. C’est sans doute l’heure de la sieste. Calme absolu.

J’avais une idée de la ville à travers le film « Ilheu de contenda » de Leao Lopes , basé sur le roman de Henrique Teixeira de Sousa, qui raconte la décadence d’une famille de colons portugais dans les années soixante. Je pense à Thierry, l’ami qui m’avait prêté la cassette du film, aussi passionné de culture capverdienne que moi.

Le film était tourné à Sao Filipe, et je retrouve dans la vieille ville des images de ces « sobrados », les belles maisons de maîtres de l’époque coloniale, et les rues pavées de petits morceaux de basalte qui descendent vers la mer, ou plus exactement, vers le bord de la falaise qui domine la plage de cinq à dix mètres. De l’autre côté du bras de mer, on distingue Brava, toute proche, et si difficile à atteindre. Le bas de la ville forme une corniche, et de là, elle s’étend à l’assaut des pentes arides du volcan qui la domine de sa masse énorme.

Je ne croise pas grand monde. Quelques collégiens en uniforme… Des maisons tombent en ruine à côté d’autres, joliment restaurées. Certaines sont à vendre. Il y a un joli kiosque à musique sur une place en pleine rénovation.

De retour à la pension, je fais une petite lessive. Il faudra en faire souvent. C’est le prix à payer pour la légèreté de mon sac. Ensuite, c’est la douche à l’économie, car le pays manque d’eau. Il faut être un touriste citoyen du monde, éthique et écologiquement responsable… J’ai lu ça quelque part.

Je m’offre un grand luxe : une sieste à Sâo Filipe. Je suis venu jusqu’ici, rien que pour ça !

En fin d’après-midi, je sors, car j’ai entendu des échos de musique, comme si une fête se préparait. Je ne me lasse pas de contempler Brava à l’horizon. L’atteindrai-je ?

En ville, une vielle affiche au format A4, simple photocopie, qui date de début février : le consulat américain à Sâo Filipe invitait ses ressortissants à une réunion. Il y aurait donc un consulat des USA dans cette petite ville perdue ? Signe de l’importance de la diaspora ! Depuis l’époque de la chasse à la baleine, les navires américains de Nantucket et de New Bedford embarquaient des jeunes gens de Brava et Fogo. Dans son roman, Teixeira de Sousa évoque une vieille chilienne qui, ayant dans sa jeunesse épousé un de ces marins de Fogo, finit ses jours dans cette île. Mais le résultat de ces migrations, c’est surtout l’importante colonie capverdienne en Nouvelle Angleterre. Certains de ces émigrés, relativement enrichis aux Etats-Unis ont pesé, et pèsent encore lourd sur le destin de l’île.



Dans un joli square du bas de la ville, des jeunes ont installé une sono et une petite estrade. C’est pour la fête de Saint Valentin. Je reviens à la nuit tombée pour y assister.

C’est bien leur fête, celle des 10 à 16 ans. Les rares adultes sont là en spectateurs, dans un large escalier qui conduit à la partie haute du square, et dont les marches servent de gradins. Les enfants chantent, récitent des poèmes et des déclarations d’amour en portugais, et les coupures musicales sont très américaines. La fameuse musique capverdienne n’est pas à l’honneur ici. Pourtant cette petite fête à un charme extraordinaire, par sa spontanéité et sa naïveté !