mercredi 28 octobre 2009

La descente du volcan

Après réflexion, j’ai décidé de redescendre aujourd’hui. J’ai renoncé à l’ascension de la muraille, qui suppose un bivouac dans une grotte à plus de deux mille mètres d’altitude. Je ne suis pas équipé, et les guides eux-mêmes présentent cette course comme bien plus difficile que celle d’hier.

Après les onze cent mètres de l’ascension du Pico, je décide de m’attaquer à la descente de plus de mille six cents mètres entre Bangaeira et Mosteiros, sur la côte nord. Zé m’a dit que cela prendrait trois à quatre heures, voire cinq. Cette fois je n’aurai pas de guide.
(...)

Je quitte l’auberge plus tard que prévu, et je m’arrête encore à la coopérative vinicole, dont le directeur me fait goûter un blanc et un rouge. Contrairement à mes goûts habituels, je préfère le blanc, léger et fruité. Je pose des questions sur la viticulture locale. Il y a vingt-huit coopérateurs sur cent trente hectares, me dit-il. Je me demande où se cache ce vignoble, car, en dehors de quelques pieds épars vus avant-hier, je n’ai pas remarqué grand chose. Il m’explique que la plupart des vignes sont plus à l’est, du côté ouvert de la caldeira. Ces vignes sont sans doute bien plus clairsemées que celles d’Europe.
( Les vignes de Châo das caldeiras )

Les vendanges ont lieu à la fin juin, la coopérative est moderne, reconstruite après la dernière éruption, équipée de matériel espagnol et italien, dans un petit bâtiment de moins de deux cents mètres carrés. Sous une paillote voisine, des enfants collent les étiquettes sur les bouteilles.

Je me dis déjà qu’il faudrait revenir aux vendanges, j’ai l’impression de partir trop vite, alors qu’il y a encore des choses à découvrir ici.

Je reprends mon chemin, je traverse le village entre les maisons basses, accompagné parfois d’enfants qui quémandent des bonbons. Je cherche un sentier qui doit me conduire au plus près de la muraille, pour la longer jusqu’à un petit col où je pourrai la franchir facilement et sortir de la caldeira.

Sorti du village grâce aux indications d’un enfant, je me trouve de plus en plus proche des énormes falaises qui sont sur ma gauche. A droite ce sont les extrémités des langues de lave qui forment des chaos de roches calcinées. Entre les deux, se faufile un sentier sablonneux et facile.

J’entre bientôt dans l’ombre de grands eucalyptus et mimosas qui embaument l’atmosphère. En cette fin de matinée, il fait une chaleur agréable, le chemin qui mène au bord du monde est paradisiaque.
Je croise des paysans avec leurs petits ânes chargés de fourrage, puis le couple de retraités français rencontrés hier, qui retournent vers l’auberge. Au sommet du petit col par lequel je sors du volcan, il y a une barrière en bois brut, et la maison d’un garde forestier. J’entre dans une forêt classée, il y a un péage de cent escudos, avec reçu. Le contraste est saisissant avec les paysages sahéliens du sud de l’île. C’est l’exposition aux vents de nord-est et l’altitude qui favorisent cette région.

A partir de là, le chemin est large et pavé. J’imagine naïvement qu’il en sera ainsi jusqu’en bas. La forêt est toujours superbe et parfumée, le soleil reste clément, et plus bas, la mer de nuages cache toujours l’océan.
( cette photo n'est pas de moi )

Evidemment, ce n’est pas une forêt primaire : eucalyptus, agaves et mimosas ont été introduits. La laurisilva macaronésienne, cette forêt préhistorique des îles de l’Atlantique nord, dont il reste, je crois, des reliques à Madère et aux Canaries, a-t-elle existé sur cette île ?

J’arrive à une bifurcation, annoncée par ma carte. A gauche, le sentier descend moins vite et part vers l’ouest. Il devrait conduire vers les versants les plus secs de l’île, contournant la caldeira par l’extérieur. Théoriquement, il serait possible de retourner à Sao Filipe par là, mais il paraît que le sentier est mal tracé, un guide serait nécessaire. Je suis parti tard, seul, et je n’ai pas envie de passer la nuit dans un ravin. Je m’en tiens donc à mon projet initial, je prends à droite. C’est la descente la plus courte vers la côte, à travers la forêt, jusqu’à Mosteiros, cette « petite ville assoupie » que j’ai envie de connaître.

A la sortie de la forêt classée de Fonte Velha : deux baraques et un gardien. Il contrôle mon ticket d’entrée. Le président de la république aurait une résidence secondaire ici. S’agit-il de ces modestes maisons ? La route pavée que je suivais depuis ma sortie du volcan s’arrête là. Je demande le chemin de Mosteiros. Le garde m’indique un passage qui se faufile derrière les baraques. Je crois à une plaisanterie, mais une pancarte en bois le confirme.

Je découvre un sentier où deux piétons ne pourraient se croiser, et qui doit se transformer en torrent à chaque averse. Il s’enfonce dans un sous-bois de plus en plus dense. Je dois me frayer un chemin dans les feuillages. Je suis arrivé dans la couche nuageuse qui s’accroche aux pentes et forme un brouillard assez épais entre les troncs. Je commence à m’interroger sur les éventuels serpents de Fogo, dont aucun de mes livres ne parlait. Outre la morsure d’un serpent, une simple entorse à la cheville me mettait dans une situation délicate, d’autant plus que l’après midi avance, et que je voudrais absolument être à Mosteiros avant la nuit.

Les pierres du sentier roulent sous mes pieds et je dois faire très attention. La pente est si raide qu’il me serait difficile de faire demi-tour. Je n’ai plus le choix, il faudra arriver en bas.

Peu à peu, les mimosas cèdent la place à des cyprès, mais les eucalyptus sont toujours là. Toujours dans la brume, je ne vois plus le haut, ni le bas. Je ne suis pas très fier de moi. Je passe des bifurcations sans aucune signalisation, rien qui ressemble au balisage des sentiers de randonnée en Europe. A chaque fois, je choisis la branche où le sentier me semble le plus large. J’ai peur de finir dans une impasse au sommet d’une falaise de plusieurs centaines de mètres au-dessus des vagues, et de devoir remonter. Un gros tuyau de plastique noir, sans doute une conduite d’eau, croise régulièrement mon chemin, ce qui me rassure.

Enfin, j’entends le ressac, mais je ne vois toujours pas la mer. Puis c’est un âne en train de braire, quelque part en contrebas, qui m’indique la proximité probable d’une habitation. La végétation a changé à mesure que je descendais, devenant de plus en plus tropicale. Je traverse des parcelles de caféiers, puis de citronniers, j’aperçois des cabanes cachées dans la végétation, puis des champs de bananiers, de papayers, et de petites maisons à flanc de ravin, inaccessibles d’où je suis…

Mosteiros apparaît à travers des lambeaux de nuages, bordée de barres rocheuses battues par la houle, je me crois presque arrivé, mais je déchanterai bientôt. Je croise enfin quelqu’un. De loin, je vois que c’est un randonneur, un européen, et qu’il monte ! Je m’apprête à le dissuader, convaincu qu’il n’arrivera pas au sommet avant la nuit.

Lorsque nous nous croisons, il se présente comme un américain, enseignant à Mosteiros. Il est jeune et sympathique. Je le soupçonne d’être un de ces missionnaires évangélistes ou baptistes, ou de je ne sais laquelle de ces églises qui font des ravages dans le tiers monde. Il m’explique qu’il monte par ce sentier chaque fin de semaine ! M’ayant demandé s’il pleuvait en haut, il m’annonce que je suis presque arrivé. Heureux de le croire, je continue…

Un paysan me rattrape, me salue, et me dépasse. Je ne le reverrai plus, tant il descend vite avec son fardeau. Puis c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui laisse une agréable odeur de savon dans son sillage. Grâce à sa chemise jaune vif, je le suis du regard. Il apparaît par moments, à plusieurs virages en contrebas. A-t-il rendez-vous avec une belle ?

La fatigue commence à me peser, et je suis de plus en plus prudent. J’ai encore trois bonnes semaines à passer au Cap Vert, et ce serait mieux sans plâtre.

J’arrive enfin aux premières maisons, mais je m’aperçois bientôt que ce n’est qu’un hameau au-dessus de Mosteiros. Il faut encore descendre. Cette descente m’a plus fatigué que l’ascension d’hier au Pico. Heureusement, je suis maintenant dans des ruelles. Les gens me saluent, des enfants m’escortent un moment, me demandent d’où je suis… Je leur réponds quelques mots de portugais basique. J’arrive à la route pavée. On me propose un taxi, mais je suis décidé à finir à pied.

Mosteiros m’apparaît comme un ensemble de hameaux et de villages étagés, et étirés le long de la côte. Le centre administratif et la pension « Cristina », indiquée par mon guide, sont à Igreja, au bord de la mer.

Deux gamins m’accompagnent un moment, jusqu’à être en vue de la pension, qu’ils me désignent, encore bien plus bas, reconnaissable à sa façade vert pistache. Ils veulent de l’argent. Comme ils m’ont réellement aidé, et qu’à présent, ils doivent remonter chez eux, je leur donne toutes les pièces que j’ai en poche.

Plus bas je croise quelques dizaines de collégiens et collégiennes en uniformes, à l’anglo-saxonne, avec des jupes écossaises, des pantalons foncés, des chemises blanches. Je suis exténué, ça doit se voir. J’essuie quelques lazzi, des filles me demandent en mariage, et sans répondre je me traîne sur le dernier kilomètre, du plat et pavé jusqu’au centre d’Igreja.